Si l’on voulait rappeler la distinction fondamentale entre le fond et la forme, American History X constituerait un exemple tout à fait fertile.


Sur le fond, le film cherche à dénoncer une abomination, et l’une de celles les plus évidentes à fustiger, à savoir le néonazisme. Incursion dans cette jeunesse perdue de l’Amérique qui se tatoue la croix gammée sur le torse, éructe sa haine en réunions, et fait de la violence l’argumentaire de la suprématie. Histoire de ne pas tirer sur l’ambulance, on évitera donc de souligner la facilité de ce point Godwin, et la confortable posture de « l’engagement » en jeu. Car le sujet n’est évidemment pas fictif, et mérite d’autant plus qu’on s’y penche que 20 ans après les faits, cette minorité bruyante a plus que jamais fait parler d’elle dans l’Amérique d’un Trump assez peu motivé à l’idée de les mettre au ban.


Sur la forme, tout est possible, et le problème d’American History X est de recourir à la même abomination. L’écriture fondée sur le devoir d’un jeune garçon racontant la vie de son frère semble avoir indexée sur l’adolescent le degré de maturité de la narration. L’adolescent révolté évolue souvent dans une zone grise ou la fascination le dispute à la répulsion : ce qui effraie ouvre des gouffres desquels on est bien tentés de sonder la profondeur, en jetant quelques coups d’œil, ou des pierres qui nous permettront d’en mesurer la profondeur. Le film joue exactement de ce procédé, ravie de montrer la violence sous couvert de dénonciation. Les personnages présentent ainsi un écheveau de diversité opportun (le juif candidat à remplacer papa, pompier tué par des noirs, les latinos dealers dans la prison, et un ami noir comme ressort de la rédemption) tandis que les exactions sur les victimes rivalisent d’ignominie pour bien grossir le trait, jusqu’à cette fameuse séquence de mâchoire fracassée sur le trottoir qui a tant fait vibrer l’audience pour entrer dans les annales de la putasserie, accompagné d’un Furlong qui se met à genoux en mode Platoon.


La naïveté (pour ne pas dire la bêtise) de la démonstration pourrait prêter à sourire si elles ne raclaient aussi profondément le caniveau : ainsi donc, le nazi en tôle conspue l’impureté de ses amis nazis qui fraient avec les latinos pour la drogue, qui le punissent en le violant dans les douches (check), et finit par se faire un ami noir et comprendre que tous ses anciens contacts d’avant la prison étaient méchants, jusqu’à sa petite amie qui, éructant de haine, souhaite elle aussi qu’il meure, tant qu’on y est. Mais qu’on se rassure, la rédemption lui permettra de border toute la famille avant la diffusion de vidéos amateur de la petite enfance, et des circonstances qui expliquent que le racisme est aussi question d’éducation, le papa décédé ayant sa part de responsabilité dans les défauts de sa progéniture.


L’éducation, un point qu’on n’abordera donc uniquement par la négative, toute ambition pédagogique ou analytique étant décidément proscrite, puisque la catharsis finale viendra résonner comme une injustice punitive (voire divine) sans qu’à aucun moment, on ne se soit posé de réelles questions sur le mécanisme de la haine ou la désactivation possible de la violence.


Point culminant de cette abomination formelle, American History X concentre le plus grand nombre d’exemples illustrant la vulgarité du ralenti. Quand il s’agit de revisiter le bonheur perdu sur le mode clipesque, c’est simplement mièvre. Mais quand il permet d’exacerber la violence et de satisfaire la fascination malsaine du réalisateur (qui, rappelons, a renié ce film et son montage qu’il aurait voulu voir signé par Alan Smithee), voire de l’exacerber chez un spectateur qui pourrait ne pas en demander tant, cela devient véritablement problématique.


Le fond, la forme. Parce qu’il pense que son propos lui permet tous les excès de la forme, parce qu’il délaisse tout propos au service d’une répulsion qui fait frissonner, parce qu’il pense que l’indignation dispense le recul, American History X touche le fond.

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le 11 mai 2020

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