Un film du grand Clint Eastwood est toujours attendu, et "American sniper" n’a pas fait exception à la règle. Pire, les cinéphiles trépignaient d’impatience, surtout après la publication d’une bande-annonce pour le moins très accrocheuse : un enfant, une femme dans la lunette… tirera ? tirera pas ?
Avant de commencer à donner mon avis sur ce film, je me permets d’insister sur des coïncidences qui m’ont frappé. En effet, ce 18 février voit sortir en France le 35ème long métrage du réalisateur, soit six jours avant que l’assassin de Chris Kyle ne soit condamné à perpétuité pour un double homicide, sans aucune possibilité de libération anticipée. Sans le vouloir, l’actualité colle à la peau de cette production qui suscite autant d’émotions que de controverses.
Et puis il y a cette casquette fétiche qu’on voit la plupart du temps vissée sur la tête du sniper sur le terrain comme à la maison. Et cette casquette porte une inscription à l’arrière : Charlie. Ah bah oui, un sacré clin d’œil aux attentats qui ont secoué la presse en ce 7 janvier 2015, d’autant plus que le prénom devenu célèbre dans le monde entier a été inscrit en rouge. Un clin d’œil qui fait chaud au cœur bien qu'absolument pas calculé puisque le film a été tourné avant ce dramatique événement.
Le film s’ouvre donc là où la bande annonce nous avait laissés : un enfant et une femme en visuel dans la lunette, le doigt prêt à presser la détente.
Il faut un certain temps pour reconnaître Bradley Cooper dans la peau de Chris Kyle, le plus redoutable sniper de l’armée des Etats-Unis. Car tout a été fait pour qu’il ressemble le plus possible au sous-officier : l’acteur a pris de la masse musculaire pour représenter au mieux les 110 kilos et le 1,88 mètre du bonhomme, et a étudié bon nombre de vidéos pour prendre sa démarche et sans doute bien d’autres attitudes comme la façon de s’exprimer par exemple. On mesurera cette ressemblance lors du générique de fin (très intéressant), et on ne pourra s’empêcher de faire le parallèle avec "Du sang et des larmes" caractérisé par ce même souci de crédibilité dans la ressemblance des personnages principaux.
Adapté donc de la vie de ce soldat hors norme, adapté de son propre livre autobiographique, "American sniper" est avant tout un… biopic. Alors pour ceux qui dénoncent un scénario un peu trop convenu sans grande originalité ni créativité… il n'y avait guère de place pour ces deux notions... Le fait est que Clint Eastwood a réussi à rester concentré sur le personnage qui s’est engagé à l’âge de 24 ans suite aux attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. C’est l’électro choc qui va le pousser à quitter sa vie de cow-boy si chère aux texans, des texans qui ont un caractère bien trempé.
D’accord on parle de patriotisme, et cette notion revient souvent dans le film. Mais lors de cette révélation vécue devant un écran de télé, on a plus l’impression que c’est le sentiment d’injustice qui passe par-dessus tout. Un sentiment d’injustice provoqué par un acte barbare totalement gratuit.
Cependant Clint Eastwood a réussi à diriger Bradley Cooper de façon à mettre ce patriotisme au second plan, plus ou moins bien caché derrière ce rêve fou de mettre un terme à tout ce gâchis. Que ce soit le rêve ou le patriotisme (voire les deux ?), c’est ce qui alimentera ce que le personnage principal pense être le bien-fondé de ces missions en terre hostile, et qui le pousse à retourner sur le terrain encore et encore tant que la sensation d’accomplissement complet de sa mission n’a pas été atteinte. Et le double attentat contre le World Trade Center n'arrange rien, quand il regarde avec effroi (comme nous tous) des images que nous ne connaissons que trop bien.
D’ailleurs ne dit-il pas dans le film en parlant de ses gars et de sa famille : "Eux ils ne peuvent pas attendre, nous si" ?
Il n’empêche que le spectateur est happé durant les 132 minutes, pris dans ces moments de tension nettement perceptibles par à-coups, à la limite de l’insupportable dès lors que des femmes et/ou enfants sont impliqués.
Comment rester insensible à cet enfant qui saisit le lance-roquette, ou à cet enfant qui périt la tête perforée par une perceuse maniée par Le boucher ?
Avec ses 160 cibles officielles (près du double officieusement), Chris Kyle est considéré comme un héros qui a été décoré à maintes reprises : entre autres la Silver Star à deux reprises, et la Bronze Star par cinq fois. On regrettera peut-être que Clint Eastwood ait occulté cet épisode, mais sans doute était-ce volontaire pour ne pas faire de Chris Kyle un mythe, bien qu’il soit déjà une légende de son vivant.
Si on s’intéresse un peu aussi à ce qu’a été la vie de ce soldat, on remarquera aussi le fait que son retour difficile à une vie normale a été... survolé. Mais… autant laisser un bon souvenir de cet homme à la famille, hein? Tout ça pour dire que le film de Clint Eastwood comporte une certaine humilité, voire même de la pudeur.
Le frisson final intervient...
lors de la décoration de son cercueil
...dans le générique de fin : tout bonnement impressionnant et à la hauteur de sa célébrité.
Salué de façon unanime par ses collègues et par le pays qu’il a servi avec une escorte de… 15 kms de long lors de ses obsèques, on ne peut que saluer un homme qui a fait ni plus ni moins son travail, dans des conditions extrêmement difficiles, pour protéger les siens.
Saluons aussi le travail fait par Clint Eastwood quant à la réalisation solide, efficace et particulièrement immersive, notamment dans les phases de combat rendues très réalistes par une bande son excellente, d’ailleurs nominée aux Oscars 2015. La photographie, elle aussi nominée, y est pas mal non plus.
Et puis surtout nous ne pouvons que saluer la performance d’un Bradley Cooper (nominé également) que je découvre bourré de bien plus de talent que je ne le croyais. Je n’oublierai pas Sienna Miller qui aura su faire passer un peu d’émotions en campant une femme éperdument accrochée à son mari.
Pour finir, j’ai remarqué une chose un peu curieuse, et cela seulement après qu’une personne que je connais m’a avoué avoir vu sortir de la salle les gens… la tête basse. J’ai en effet noté à posteriori un vrai silence de cathédrale dans la salle, pleine je dois le préciser. Un silence qui s’est manifesté durant l’intégralité du film, et qui s'est poursuivi durant l’évacuation de la salle. Même mon voisin en a oublié de manger ses gourmandises durant le film ! C’est donc sans vergogne que je donne la note maximale à "American sniper", car c’est ici un bel hommage qui a été rendu (comme celui qui a été fait aux quatre Navy Seals par "Du sang et des larmes") à Chris Kyle, qu’on approuve ou pas ce qu’il a fait.
Un hommage simple, bien centré sur le personnage, sans se perdre dans les nombreux à-côtés pourtant présents dans de tels conflits.