Le livre "American Sniper" est l'archétype de ce qui fait l'Amérique une nation uni(qu)e. Dupliqué à foison dans les librairies du mid-west, il se vend sous le sigle "True Story" qui orne l'étagère dans laquelle il se trouve. Pas "Biographie'- tout comme "littérature" devient "fiction", et "polar" devient "mystery crime"-, True Story: l'accent est évidemment sur le "story", là où il devrait être sur l'"history". Ce livre fait face aux deux-trois rangées de "God Books" dans lesquelles des enfants américains de 7 ans "écrivent" qu'ils ont vu Dieu avant d'être sorti du coma. Bref, vous l'aurez compris, ce livre n'est ni une oeuvre ni un genre littéraire. Il se range parmi ses bestsellers préfabriqués et intellectuellement léthargiques qui glorifient et rassurent les middle-class-middle-age Americans car eux seuls les achètent de toute manière.
Malaise.
Malaise car difficile de critiquer un film quand certains Américains ont applaudi à la fin du film, sont sortis la larme à l'oeil et l'arme à la main. Oui, malaise car ce film ne prend pas le soin d'être sincère envers lui-même. La réalisation de Clint Eastwood est certes magnifique, on y retrouve des inspirations très claires (Bigelow, Fincher, Spielberg), et les fils rouges du film épousent les thématiques du doyen hollywoodien. Mais peut-on avouer que la manière dont sont présentées les choses met mal à l'aise l'Européen que je suis.
Le sniper le plus meurtrier des Etas-Unis a tué plus de 160 personnes, mais Eastwood ne prend pas la peine de montrer des civils innocents. Aussi permettons-nous d'ajouter que le Pentagone refuse de prendre en compte 80 autres victimes (pourquoi ? pas des cibles "officielles" ?). Le sombre tableau que peint les documents officiels se diluent dans l'édulcoration de la fiction. D'une façon similaire, le titre du livre utilise le terme "lethal" au lieu de "deadly". Le bon-sens se dissout dans le chauvinisme.
Les snipers américains ont peur de tuer des enfants mais les snipers iraquiens rient devant leurs victimes, en bons méchants qu'ils sont forcément..
Aucune mention du fait que dans la vraie vie, ce sniper agressait et battait les gens qui disaient du mal de la guerre en Iraq - pourtant si bien plannifiée et si utile.
Après coup, on aurait aimé s'intéresser plus à la vie du sniper post-guerre, et les traumatismes qu'il a subit.
Mais non, le film a été "redacted" par ses scénaristes.
J'invite donc mes lecteurs à rétablir eux-même la vérité. Il est impératif de voir le film Redacted de de Palma, censuré par tous (sorti dans 15 salles aux States, autant dire pas sorti du tout), qui critique les actions des soldat américains, jeunesse perdue et prisonière d'une guerre qu'elle ne comprend pas. American Sniper se clôt sur de nombreux plans réels de civils qui rendent hommage au courage et au talent de leur "héros" en agitant le drapeau américain. Redacted se clôt sur de nombreux plans réels montrant les civils tués sans raison par l'armée américaine en Iraq. L'un fait des ravages au box-office, l'autre a disparu de la circulation. Laissons les fous à leurs illusions.