Epris pour cible, ou l'épris de la liberté
Mention : Fumeux
American Sniper est un Eastwood tout craché. Discours patriotique et libertarien gavé de bons-sentiments, mais tenu par une mise en scène remarquable.
La précision de l'image et la justesse du son créent une ambiance captivante. Les cliquetis des armes et le bruit assommant des bombes engendrent toute la tension guerrière. Lorsque Chris Kyle rentre chez lui pour les permissions, ce sont les bruits du quotidien qui alimentent la tension. Ce travail démonstratif sur le son exprime très bien le traumatisme qui grimpe chez le soldat.
On retrouve très rapidement l'esprit réactionnaire et libertaire de Clint Eastwood. Le discours patriarcal est très évocateur de l'étroite philosophie du cinéaste. Le postulat est de diviser le monde en trois catégories; Les moutons qui se laissent menacer et manipuler, les loups qui sont cruels et inhumains, et les chiens de berger qui sont de braves guides. C'est clivant, une vision sectaire et futile..
Il est bien évident que le militaire incarné par Bradley Cooper est présenté comme un chien de berger. Chris Kyle est porté en héros dans cette adaptation de son autobiographie. Il y a pourtant une ambiguïté frappante dans les paroles et les actes du tireur d'élite. Transposer cette vie, représentative d'un certain état esprit américain, appel à des choix délicats. Il y a présomption et jugement sur les faits réels. Chacune des scènes appuient le fond patriotique du propos.
Clint Eastwood travail souvent sur l'ambiguïté de ses personnages. Car lui même est quelqu'un de très ambivalent. A travers ses personnages ou ses paroles directes, Clint Eastwood livre à la fois des propos néfastes et des messages de tolérance. Avec Bradley Cooper on suit un citoyen américain plus caricatural qu'autre chose.
Il y a malgré tout une vraie ambivalence qui est pointée. Chris Kyle s'engage en Irak pour protéger sa famille, mais lui fait du mal à force de s'en éloigner. Il est tout simplement bourru et simplet, obnubilé par son patriotisme. Un poil misogyne aussi.
Est-ce les vieux démons Eastwoodien qui ressortent ou une caricature voulue ?
Il y a une volonté assez claire de nous attacher à ce soldat. Quelques rares moments de complicité et de légèreté maintiennent une certaine part d'humanité en lui. On ne reste pas complètement indifférent au destin de Chris Kyle.
La tragique histoire de ce tireur d'élite est le vecteur des idéaux du parti Républicain. Une philosophie de vie limitée à trois intérêts; Dieu, le pays, la famille. Le propos frise le nationalisme.
Les beaux discours d'Eastwood sont souvent d'une condescendance exagérément maladroite. Avec American Sniper ça tend plutôt à l'inverse, une certaine hostilité à la limite du racisme. Le peuple Irakien n'est jamais représenté autrement qu'en barbares ou en sauvages. Jusqu'aux familles et aux enfants errants toujours assez troubles. Avec essentiellement une scène carrément incongrue, qui traine comme l'arme massive qui en fait l'objet. Passage d'une absurdité (ou stupidité) gênante.
Cette représentation très manichéenne est fumeuse. Ou bien les intentions sont détestablement haineuse, ou narrativement malhabile. En tout cas, Eastwood se pose encore en précepteur, ce qui devient franchement pénible. La vision qu'il donne de l'engagement militaire en Irak et de la part d'héroïsme des soldats manque totalement de nuances.
La loi de Talion semble être la seule pour laquelle Eastwood porte une considération. Œil pour œil, dent pour dent. Fer de lance de presque tous ses films, la vengeance atteint ici un degré de hargne dérangeant. American Sniper justifie, explique, cette détermination. La mise en scène du choc 11 septembre est d'une futilité affligeante. L'interprétation est en plus approximative sur ce passage.
Bradley Cooper et Sienna Miller (sa compagne à l'écran) s'en sorte bien malgré tout. Des instants de jeu transmettent les enjeux plus subtils avec une grande justesse. Le traumatisme du soldat au retour du front, la solitude désespérée de la femme au foyer. Avec au départ une belle complicité entre les deux.
American Sniper est une mise en contexte au fond douteux et à la forme impressionnante. Jugement complaisant qui ne cible que la part d'héroïsme d'une légende très ambivalente.
Note : 11 / 20