Chris Kyle, machine à tuer ou héros de guerre ?
Sorti il y a quelques semaines aux Etats-Unis, et aujourd’hui en France, American Sniper a déjà récolté plus de 300 millions de dollars de recettes et s’annonce comme le plus gros succès de l’immense carrière de Clint Eastwood. Le film nominé 6 fois aux Oscars, dont dans la catégorie meilleur film et meilleur acteur, relate l’histoire vraie de Chris Kyle, tireur d’élite membre des Navy SEAL, considéré comme le plus redoutable de l’histoire militaire américaine. Lors de quatre séjours OPEX (Opérations Extérieures) en Irak entre 2003 et 2009, il aurait abattu 160 ennemis selon le Pentagone, plus de 250 selon ses propres dires.
Malgré le grand succès que connait le film aux Etats-Unis, le dernier long-métrage de Clint Eastwood divise. Connu pour être un fervent partisan du Parti Républicain, Clint Eastwood est accusé de livrer un film faisant la propagande des snipers, et plus largement de l’armée américaine. Pour ses défenseurs, il s’agit d’un film rendant hommage aux soldats engagés en Irak. Clint Eastwood dépeint le portrait de Chris Kyle de manière ambiguë et édulcorée, ce redoutable sniper était-il une machine à tuer ou un véritable héros de guerre ?
Cette question découlant du film fait débat, notamment lorsqu’on la rapproche des propos tenus par Chris Kyle, alors de retour de mission. Celui-ci n’a, en effet, exprimé aucun regret quant à ses multiples tirs létaux mais regrette ne pas avoir su mieux protéger ses collègues, dont certains ont trouvé la mort lors des combats. Surnommé "La Légende", il ne semble exprimer aucune émotion lorsqu’il s’agit de tirer sur des hommes, femmes ou même des enfants irakiens qui représentent une menace pour les soldats au sol. C’est par ces divers aspects que Chris Kyle peut être considéré comme une machine à tuer sans états d’âme avant d’être un héros de guerre, il aurait plus le profil d’un assassin fou des armes que d’un soldat méritant. De plus, il n’est, à aucun moment dans ce film, question de la légitimité de cette guerre. Tout acte meurtrier semble être très bien justifié et réfléchi, les hésitations et les bavures, pourtant réelles, sont éludées.
D’un autre côté, le film dépeint bien le portrait d’un héros de guerre, surnommé par ses pairs « La Légende », tellement réputé pour ses performances de tireur d’élite qu’il devient personnellement une cible de choix en territoire ennemi, sa tête est mise à prix à 80 000 dollars. Néanmoins, le film insiste un peu trop sur ce surnom et ne cesse de glorifier Chris Kyle, pourtant loin d’être le seul soldat méritant parti au combat. L’individu est célébré au détriment du collectif. Puis, des arguments anti-guerre sont aussi avancés, créant encore plus d’ambiguïté. En effet, les traumatismes post-guerre sont mis en avant dans le film mais ne vont pas assez en profondeur.
American Sniper ne pose pas de réelles réflexions mais a le mérite de porter à l’écran l’horreur des combats de manière très réaliste, bien que manichéenne, que ce soit sur le champ de bataille que lors des tentatives de retrouver une vie normale après les missions. La réalisation et la mise en scène est excellente et Bradley Cooper dans le rôle de Chris Kyle, qui a dû suivre des séances de musculation intenses pour ressembler au héros, est surprenant et mérite amplement sa nomination dans la catégorie meilleur acteur aux Oscars. Cependant, il est clair que, malgré les efforts de souligner des arguments anti-guerre, American Sniper reste un film patriotique glorifiant ô combien les soldats américains tout en faisant abstraction des questions de légitimité, de morale ou de ressenti émotionnellement parlant.
En définitive, le film est bon mais souffre d’un manque de profondeur et d’une ambiguïté importante qui laisse la porte ouverte aux polémiques avec un portrait édulcoré et décontextualisé de Chris Kyle.
