Un documentaire long et lent, qui restitue les journées d'attente étonnamment vide des candidats à l'émigration depuis le Mexique ou des mexicains en attente de régularisation passés aux États-Unis. Tout un monde de gens au regard résigné, tout entiers tendus vers un but qu'ils savent inaccessible, mais qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de convoiter. Parce que certains sont parvenus à prendre racine de l'autre côté de la Frontière. Et tant pis s'ils savent bien que c'est un miroir aux alouettes. Parfois, leurs destins connaissent des coups d'accélérateur épuisants, et se jouent à la roulette russe en quelques secondes. Mais le reste du temps, il leur faut attendre et tenter d'espérer, petits troupeaux à l'abandon au milieu du désert, innombrables, aussi déterminés que l'eau qui s'échappe d'un tuyau percé, impossibles à décourager. J'ai vu beaucoup de documentaires sur cette épineuse question, mais peu qui m'aient autant déprimée. Alors qu'il ne montre rien d'insoutenable en soi; mais c'est la déshérence terrible dans laquelle erre tout un peuple de braves gens, chargés de famille dès leur plus jeune âge, à la merci de la violence d'un côté de la frontière et de l'indifférence de l'autre, qui touche dans ces images statiques et désespérément belles. Derrière ces yeux hallucinés et ces fronts buttés, on devine la radicalité de choix qui n'en sont pas : il faut partir, à tout prix, atteindre un Eldorado de pacotille, protégé par des murs iniques et des patrouilles sans visage. Il faut guetter la faille, s'y engouffrer, sans savoir ce qu'on va trouver derrière les grillages. Parfois, ce sont d'autres braves gens, qui souhaitent aider mais se heurtent eux aussi aux réglementations inhumaines. D'autres fois, ce sont d'autres déshérités, parqués dans des réserves depuis des siècles, qui montrent davantage de solidarité que la nation la plus riche du monde. Un véritable camouflet pour elle, à mon sens. Et le temps passe. Les enfants grandissent, dans des familles disloquées, rongées par l'anxiété; ils apprennent une autre langue, leur palais s'arrondit, ils acquièrent de nouveaux repères, adoptent de nouvelles coutumes, pour se fondre dans le moule de cette nouvelle nation métisse : l'Amexica, à mi-chemin entre l'émergence d'une jeunesse nouvelle et la résignation d'un héritage à jamais perdu. Pas de quoi se sentir vraiment optimiste ou camper sur sa bonne conscience. Quelque chose finira par naître de ce désastre mais, en attendant, la violence continue à gangréner l'Amérique Latine, et les beaufs roulent des mécaniques en Amérique du Nord, rigolards et gras, pleins de leur bon droit imaginaire.