Il y a l'amour qui nait, celui qui perdure, celui qui disparait, et puis il y a celui qui s'éteint, ou en tout cas qui s'évapore physiquement. Si certains cinéastes, Borzage, Hathaway, ont choisi de faire perdurer cet amour, capable de survoler le temps, l'espace, le réel, Haneke lui est plus concret, moins poétique, il y a une ligne d'arrivée, il y a une fin.
Les quelques pièces d'un appartement bourgeois constituent l'unique décor du film. Ils créent un théâtre beckettien morbide dans lequel le couple composé de Jean-Louis Trintignant et d'Emmanuelle Riva est enfermé. Si la porte d'entrée s'ouvre, laissant pénétrer infirmières, docteur, fille (Hupper est également formidable), tous sont comme ce pigeon qui rentre deux fois par la fenêtre, une présence presque impromptue. Pigeon qui correspond tout autant à la vision symbolique du regard du spectateur, qu'à l'idée de l'amour en cage et s'il faut ou non ouvrir la porte. Au fond tout se joue en tête à tête, entre les deux êtres aimés, et les observer a quelque de très impudique. La notion d'espace est ici fondamentale. L'appartement est le nid d'amour. Trintignant ferme les porte une à une, et les fenêtres pour le cloisonner d'avantage, pour ne pas le laisser partir. Le plan final est terrassant à ce niveau là (je le garde secret). Cette notion d'espace s'accentue par la composition des plans d'Haneke, des longs plans fixes, froids, rigides, dans lesquels les corps évoluent et se transforment. Car Amour s'il parle de la fin d'un sentiment et d'un état face à la fatalité de la maladie et de la mort (un homme au chevet de sa femme mourante), parle aussi de la vieillesse, de la transformation des corps, de la peau qui se flétrit, de la démarche plus lente, de la voix qui mue.
Le regard d'Haneke sur son film est positionné à une distance qui le rend absolument insoutenable du début à la fin. On est à la fois au plus près des acteurs, mais Haneke évite tout processus de sensibilisation et de sensiblerie qui le rendrait juste abject, mais qui du coup ici le rend extrêmement dérangeant. Je crois que je n'avais jamais vu un tel sujet filmé de façon aussi frontale, crue, perceptible. En soit c'est très réussi mais c'est une expérience vraiment très douloureuse, qui touche à des choses infiniment personnelles. C'est déchirant, éprouvant, je n'ai jamais été aussi mal devant un film d'Haneke. Et du coup je me pose aussi la question de pourquoi un tel film. Je comprends la démarche d'Haneke, ses questionnements et émotions face à cela, et à cette période de sa vie, mais je réfléchi encore sur l'honnêteté ou non de jouer avec de telles émotions. Et pourtant, au-delà de tout ça, je pense que c'est un des plus beaux films fait sur la vieillesse et l'approche de la mort.
Trintignant (surtout) et Emmnuelle Riva sont formidables