J'aurais pu mettre un titre sympatoche du style "Plus beau que ça, tumeur." ou "Trop piquent du cancer", etc. Mais ces jeux de mots seraient déplacés face à la qualité indéniable de cette oeuvre. Alors du coup, j'ai choisi de faire dans la sobriété : "Les yeux rouges."
Ce titre me semble assez significatif pour ne pas avoir à s'étendre dessus. Ou alors si, je vais m'en servir pour construire cette critique. Abasourdi par ce film, je ne sais par où commencer, donc ça me fera peut-être un écrit un peu structuré.
Tout d'abord, les yeux rouges d'Emmanuelle Riva. En interprétant cette femme chétive, elle apporte au film un réalisme incroyable. Pourtant, son jeu pouvait inquiéter sur la première demi-heure. Le ton n'était pas juste, les phrases sonnaient faux et elle-même ne semblait pas convaincue de ce qu'elle disait. Mais madame Riva connaît bien le dicton : un petit dessin vaut mieux qu'un long discours. Tout ce qu'elle n'a pas su faire passer par la parole, elle le transmet puissance dix par les gestes. Rarement on a vu un acteur jouer aussi brillement un malade. Au passage, on peut souligner le travail remarquable des maquilleurs qui ont reproduit dans une vérité dérangeante les traces d'une maladie dévastatrice.
En face d'elle, les yeux rouges de Jean-Louis Trintignant. Impeccable dans le rôle du mari aimant et accompagnant sa femme jusqu'à la fin, il parvient à renvoyer au spectateur l'émotion projeté par celle qui se meurt. Il est le corps de sa femme. Elle est l'âme de son mari. Quelque part, ils ne font qu'un, luttant contre cette putain de tumeur qui la ronge peu à peu. Ici, le mari se transforme, se zombifie, ne vit plus que pour elle. Il est tour à tour brutal et doux, calme puis violent, mais c'est parce qu'il l'aime, comme un couple devrait s'aimer jusqu'à la fin. De plus, en tant qu'acteur pur, Trintignant tient vraiment son rang en ne lâchant jamais prise dans des plans longs de plusieurs minutes, parfois. On peut féliciter Emmanuelle Riva de réussir le même exploit.
Enfin, les yeux rouges du spectateur. Michael Haneke ne cherche pas à faire pleurer dans les chaumières à grands coups de violons. Il préfère les longs silences qui racontent toute la détresse d'un personnage. Il préfère aussi les plans qui s'apparentent à des plans-séquences, ça laisse le temps au spectateur de réfléchir tout en étant dans une attente assez pesante. Le spectateur ne s'immisce pas dans la vie de ce couple, mais le regarde comme on vient voir un ami à l'hôpital. Et c'est ça la force de cette oeuvre. Chacun peut se reconnaître dans ce qui s'écrit sous nos yeux, aussi colorés qu'ils soient. Ce n'est pas tant dans les personnages qu'on peut s'identifier mais plutôt dans la situation qui s'en dégage. Alors voilà, les plus sensibles ne résisteront pas à la force émotionnelle de ce film et les coeurs de pierre peuvent même laisser s'échapper une goutte du coin de leur oeil.
"Amour" est l'anti-"Les petits mouchoirs" par excellence. Parce qu'il ferme sa gueule et n'a pas pour but premier de faire vendre en jouant avec nos émotions de façon négligente. Et surtout, on en sort grandi et avec des questions plein la tête. Ca fait réfléchir et ça donne un sens au cinéma, outre l'aspect divertissant. Et c'est surtout parce que c'est la plus belle leçon de vie qu'il m' a été donné de voir au cinéma. Même la fin n'a pas réussi à me dégoûter de cette triste histoire.
N'ayant ni le génie, ni le charisme de Haneke pour vous ordonner quoi que ce soit, je vais tout de même vous donner un conseil : avant de fêter la mort, célébrez la vie, passez du temps avec ceux que vous aimez, donnez le maximum de vous à vos proches, et profitez des moindres moments. Avant d'avoir les yeux rouges, ne retenez qu'un mot : aimer.