Voulez-vous mourir avec moi ce soir ?
Amour fou, le nouveau long-métrage de la réalisatrice autrichienne Jessica Hausner, est intrinsèquement une tragicomédie romantique. En effet, nous nageons en plein romantisme dans ce Berlin du début du 19ème siècle où Heinrich, un jeune poète absolutiste, n’envisage l’accomplissement de l’amour que par la mort par suicide simultané des deux amants. Une perspective éminemment tragique quand on se souvient que le véritable poète allemand Heinrich Von Kleist – dont le destin inspire directement le film - se donna la mort en 1811 après avoir tué son égérie, Henriette Vogel, une femme mariée atteinte d’un cancer, qu’il entraina dans son dessein mortifère. Mais il y a aussi quelque chose d’incontestablement comique dans la démarche d’Heinrich auprès de sa cousine Marie, puis de la mélancolique Henriette, à les convaincre de son projet funeste. Projet qui peut aussi apparaitre comme égoïste et capricieux dans un milieu de nobles aisés, préoccupés d’avoir à payer bientôt des impôts, si toutefois l’Allemagne en venait à suivre l’exemple de…la France, cet étrange pays décrié où on se pique aussi de soigner les maladies de l’âme.
Sans conteste, Jessica Hausner, déjà auteur de l’étonnant Lourdes en 2009, sait organiser les plans de son film en enchainant des scènes aux cadres étudiés (enfilade des pièces et des personnages, importance des ouvertures, actions excentrées). Si le rigorisme de la société berlinoise de l’époque fait penser au cinéma de Michael Haneke (Le Ruban blanc), la dimension très littéraire et sentimentale de l’affaire tire davantage Amour fou vers l’univers d’un Éric Rohmer par exemple. L’objet est donc curieux et paradoxal puisqu’il opte pour un traitement froid et ironique d’une histoire d’amour folle dans ce qu’elle a d’irrationnel et d’irréversible. Mais il est avant tout une preuve que la réalisatrice aux univers plutôt éclectiques est capable de produire un authentique travail de cinéma.