Tout ou rien...
C'est ce genre de film, comme "La dernière tentation du Christ" de Scorsese", qui vous fait sentir comme un rat de laboratoire. C'est fait pour vous faire réagir, et oui, vous réagissez au quart de...
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le 6 sept. 2013
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Avant de commencer cette critique, je dois être honnête en avouant que je n'aime pas du tout Amsterdam. Ses petites maisons de poupée, où l'on peut tout voir à l'intérieur, le long de canaux idylliques qui se ressemblent tous, ses pas de porte avec de petits escaliers qui rappellent Manhattan, ses restaurants bio très chers ne m'attirent pas du tout, et de toutes les langues du monde, le Hollandais est sans doute une des plus laides en termes de sonorité. Donc oui, mon regard est biaisé.
C'est un film dressant un portraît en mosaïque de la ville d'Asmterdam, à partir d'extraits vidéos tournés entre novembre 1994 et juin 1996. On suit le parcours de différents personnages, souvent des immigrés. On voit les différents aspects de la ville : ses logiques d'intégration et ses logiques d'exclusion. La manière dont un patchwork de cultures cohabitent dans une ambiance de tolérance, mais d'inégalités. C'est un peu la sensation que l'on pouvait avoir en tournant le bouton de la radio à travers toute la bande FM : l'impression de variété (mais pas forcément de métissage, bienqu'il en soit largement question ici).
(Au passage, ce film doit être une sorte de cauchemar pour tout identitaire qui se respecte).
Bon, et ça dure presque 4 heures, ce qui explique sans doute que je sois le premier à faire une critique.
Au dos de la jaquette du dvd, une citation de Johan Van der Keuken : "C'est un cinéma qui n'existe que par la grâce du tournage, pas du montage. On est présent. Ce qui est saisi, c'est une présence et rien d'autre : on était là, on est là. Quelque chose se passe et nous y assistons. Quelque chose se passe parce que nous y assistons".
Je ne sais pas si c'est dit à propos de ce film, mais si c'est le cas, c'est mentir un peu sur la marchandise. En gros, le film serait tourné à partir de scènes enregistrées les unes à la suite des autres, sans montage. On se contenterait de mettre bout à bout ce qui a été saisi. Si c'était vrai, ce serait prodigieux. Mais c'est techniquement impossible, sans quoi on ne comprendrait pas pourquoi le son reste continu, non haché, à l'intérieur d'une même séquence, alors même que l'on change de cadrage.
En revanche, on ne peut pas nier l'habileté avec laquelle Van der Keuken parvient à faire oublier la présence de la caméra : elle est rarement relevée par les personnages présents, qui dégagent une certaine spontanéité (lors même qu'à mon avis, certaines scènes ont été quelque peu arrangées).
Le mouvement de caméra préféré est le travelling latéral, qui illustre bien la sensation d'être un spectateur, quelqu'un qui ne fait que passer. De même, lors de ses interviews, souvent Van der Keuken quitte le visage de la personne, laisse son regard vagabonder alentour.
Pour autant, il y a une volonté d'esthétiser. Ce n'est absolument pas un documentaire sur Amsterdam, c'est de la poésie. Par exemple, le cinéaste plaque sur ses images une bande-son jazzy sympathique. Il y a aussi quelques expérimentations formelles (assez limitée à l'aune de ces quatre heures, le contenu prime la forme).
Du coup, on est souvent dans une situation d'incertitude : qu'est-ce que je regarde ? Lorsque j'écoute ce témoignage de réfugié tchétchène, je n'écoute pas seulement les faits qu'il relate. J'écoute un discours sur la manière dont Van der Keuken veut voir sa ville d'Amsterdam. C'est assez déroutant.
Je termine sur la situation particulière de cet objet cinématographique. Je ne sais pas précisément quel appareil a utilisé Van der Keuken pour filmer, mais il s'agit visiblement d'une caméra vidéo. Et ce film est au fond une charnière entre le cinéma "classique", argentique, et le cinéma numérique arrivé dans les années 2000. C'est une oeuvre typique de cet âge incertain de la vidéo, entamé dans les années 1980, qui un temps horrifiait Jean-Luc Godard. J'imagine que c'est une pièce que l'on pourrait avancer en faveur de la vidéo.
Le film revient d'ailleurs beaucoup sur le rapport aux images. Il y a quelques plans d'enfants jouant sur des bornes d'arcade (sans diaboliser, ce qui est rare à l'époque), et surtout pas mal de plans de gens qui regardent des trucs improbables à la télé (film de SF avec des batailles de cosmonautes, fééries hollywoodiennes, etc...).
Pour conclure, c'est bien moins un documentaire qu'une oeuvre poétique, qui saisit des moments atmosphériques au bord de l'ineffable. Dessus se greffent, avec une facilité déconcertante qui n'exclut pas une part d'artifice, un certain nombre de portraits de personnalités qui donnent une image multiculturelle d'Amsterdam.
Je conclus, pour moi-même, sur un synopsis que j'ai fait au fur et à mesure du visionnage :
Le titre à partir de lettres filmées sur des affiches dans la rue.
Images de l'arrivée de saint-Nicolas costumé à Amsterdam.
Un coursier à moto d'origine marocaine, Khalid, puis des employés municipaux qui s'occupent de fils électriques.
Un couple multiculturel qui vient d'avoir un enfant : une hollandaise et Roberto, immigré bolivien.
Images de marché. Un Tchétchène, Borz Ali, qui suit sur le satellite des nouvelles préoccupantes de Grozny. Son frère se bat là-bas.
Des feux d'artifice pour la Saint-Nicolas. Une Africaine qui achète des vêtements colorés dans une boutique de vêtements africains.
Interview du coursier marocain, Khalid. Il a menti pour se faire recruter par Domino's Pizza, puis par une entreprise de coursiers pour pellicules photos.
Le Tchétchène apprend par la télévision la mort de son frère. Visage grave.
Le Bolivien est en fait issu de la tribu Aymara. Il vit dans le quartier pauvre de Bijlmer. Vivre aux Pays-Bas est un privilège inattendu pour cet homme qui s'étonne de voir un robinet d'eau chaude et un d'eau froide. Il fait des petits concerts. Quelques images de la Bolivie : femmes portant le petit chapeau rond, marchant, orchestres. Roberto fait un discours devant les siens, qu'il est revenu voir. Offre des cahiers pour les enfants. La famille, le pain cuit au four...
Khalid qui livre des tirages à un photographe de mode qui fait poser des trisomiques. Un clodo qui râle contre la pluie. Un cours de calligraphie dans une école primaire chinoise. Des images des canaux. Une cérémonie funéraire ashanti (Ghana). Des images aériennes du port. Des vieilles qui parlent d'un balcon à la rue. Une poissonnerie où passe une musique surannée. Une parodie de Back and forth (comprenne qui pourra).
Derrière le Rijksmuseum, le coin où Khalid retrouve ses amis, à côté des jeunes skaters. Un professionnel du bridge, dans un bar le soir. Un SDF dans l'arrière-cour d'une école, qui explique qu'il s'en fiche d'être filmé. Le clodo sort lentement de son sac de couchage, pieds nus.
Le Tchétchène parle de la déportation de son peuple sous Staline et de ses conséquences culturelles. Il fait de l'import-export avec son pays. Sa femme dit qu'avec lui on ne s'ennuie jamais. A l'arrière d'un camion, en Tchétchénie,après avoir passé la frontière. Groznyi, vue de rues en ruines. Il rencontre des responsables et dit vouloir installer une antenne de l'association néerlandaise d'aide à la Tchétchénie. Il visite une clinique d'enfants malades. Manifestants en colère. Une mère pleurant son enfant mort, qu'elle tient dans ses bras.Des vaches traversant lentement une route. Retour au village, discussion avec le vieux. Les femmes en pleurs.
Les canaux de nuit, depuis un bateau. Sous les ponts, des SDF, et en même temps, le Amsterdam cool, avec une fille qui danse sur de la techno à son balcon et à qui on peut envoyer de l'argent via un panier. Des jeunes qui dansent sur des musiques de tous les pays sur des péniches. Un Libanais qui sert des produits "en guerre" (avec beurre de cacaouette et mayonnaise). Coffee shop, achat de hasch. Khalid achète de la skunk. Discothèque avec du poum-tchak. Interview de rappeurs yougoslaves.
Images de cheminées d'usines, de la piste d'atterrissage de l'aéroport. Enregistrement biométrique d'immigrés. La petite qui réclame qu'on la prenne en photo comme sa maman. Le joueur de carillon d'un clocher. Des photographes de mode qui prennent des nus. Khalid arrive déposer des épreuves.
Travelling sur les canaux au petit matin tandis qu'on écoute l'interview d'une actrice de théâtre âgée d'origine juive, accompagnée de son fils Adrie. Elle essaie de retrouver une maison où elle a vécu, mais le 118 a été fusionné avec le numéro voisin. Elle évoque la déportation des Juifs aux Pays-Bas. En tant qu'enfant, elle frimait de son étoile jaune. La femme qui possède la maison, originaire du Surinam, explique qu'elle comprend ce que ressent une mère coupée de ses enfants. Puis on suit l'actrice en Flandres, chez la famille Collot d'Escury, qui avait recueilli son fils Adrie. Le fils et la mère chantent une chanson qu'ils ont chanté à leurs retrouvailles.
Images de couples détendus sur les pelouses des parcs, en été, sur une reprise free jazz de Summertime. Cuisine de restaurant chinois. Coulisses d'un match de boxe thaï. Roberto apprend le foot à son jeune fils. Khalid entend parler de télétransmission des images, qui pourrait menacer son métier. Les canaux dans le brouillard. Images de canaux sur une musique symphonique : on assiste à une répétition de l'orchestre. Un couple hétéro qui s'embrasse (la fille a une très belle poitrine), puis on coupe sur un couple gay, puis sur des lesbiennes. Une vieille femme qui nourrit des mouettes énervées. Khalid en moto (la caméra est côte à côte en voiture), qui rêve de devenir chauffeur de voiture. Il dit qu'il en a marre du film, qu'il rentre chez lui. Générique.
Créée
le 3 janv. 2018
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