L'augure
"Cet autre espace du récit qui serait non pas un espace de représentation (à moins de prendre le mot dans son sens théâtral) mais de présentation, non pas l'espace d'une démonstration mais celui...
Par
le 8 juin 2018
6 j'aime
Ana peut être laborieux. Le montage, de l'ensemble chaotique, ne donne pas toujours du sens. Mais c'est que Reis et Cordeiro offre la générosité d'un regard d'une pureté rarement rencontrée au cinéma.
Derrière un naturalisme assez austère le film glisse à une vision entre enfance et vieillesse. L'enfance n'est pas l'âge de l'innocence mais d'avantage celui d'une perméabilité extrême au monde, d'un émerveillement conjoint à l'effroi (la récurrence des nouveaux nés en pleure). La vieillesse, plus tard, est l'époque de l'innocence, d'une paisibilité marquée par le temps. Le rythme du film lui permet de se placer dans l'écart, avec la proximité de la nature comme cause de sa respiration lente. Pas vécue directement comme objet de contemplation, la nature y est bien plus le milieu qui informe la pensée. Alors, en effet, elle impose un rapport contemplatif au cosmos. La puissance du regard des cinéastes vient que cette contemplation ne se double d‘aucun pathos ou lyrisme pastoral mal venu, mais instaure un état permanent d’étonnement. Un étonnement des sens.
La spontanéité de ce regard fait d'Ana un film qui poserait en permanence des questions toujours essentielles, tel un enfant : questions terriblement justes, jusqu'à l'absurdité. Ainsi est-on contaminé et chaque plan devient expérience d’innocence face au constat du monde. Les couleurs, les formes, l'Histoire, le vent, etc. : donné à voir, tout nous étonne. Chaque plan est alors vision, la perception du monde prise entre magie et sacré. Miracle de la lumière, miracle du liquide, miracle de l’équilibre, miracle du renard ou de l’âne, miracle des poivrons sous le soleil. Mais aussi horreur de l’objet qui se brise et horreur de la mort (même si le rouge du sang est aussi beau que le rouge de la robe d’Ana).
Un enfant qui s'est brûlé avec un charbon ardent examine, craintivement, si un bâton de cire rouge pourrait également le blesser […] Peut-être en retirera-t-il l'observation que cette matière rouge, en apparence toujours identique, est parfois brûlante, parfois froide. Et un coin du voile des phénomènes se lèvera pour lui. Un coup d’œil dans les abîmes de la causalité. Son regard fixera le temps comme un reflet d'éternité. La certitude deviendra doute, le mystère plus puissant que la science. Il ne se fiera plus au hasard, auquel on peut se brûler." Hans Henny Jahnn - Le navire de bois
Créée
le 13 avr. 2016
Critique lue 377 fois
4 j'aime
Du même critique
"Cet autre espace du récit qui serait non pas un espace de représentation (à moins de prendre le mot dans son sens théâtral) mais de présentation, non pas l'espace d'une démonstration mais celui...
Par
le 8 juin 2018
6 j'aime
Ana peut être laborieux. Le montage, de l'ensemble chaotique, ne donne pas toujours du sens. Mais c'est que Reis et Cordeiro offre la générosité d'un regard d'une pureté rarement rencontrée au...
Par
le 13 avr. 2016
4 j'aime
Le truc étonnant avec Marie Menken c'est la façon dont le corps qui tient la caméra infuse dans le film, ou plutôt ce qui s'y inscrit d'avancement, de prises de niveau (jeux de plate-forme), de...
Par
le 14 janv. 2020
3 j'aime