Le grand mérite du film de Luc Moullet est d'aborder un sujet rarement traité au cinéma : la difficulté pour un couple de s'accorder sexuellement. Bien au contraire, le cinéma laisse le plus souvent croire que tout se passe merveilleusement dès qu'un homme et une femme se retrouvent tout nus dans un lit. On parle bien plus qu'on ne montre dans Anatomie d'un rapport. On pourrait être chez Rohmer, si celui-ci n'évitait pas soigneusement le parler cru, préférant effleurer de toutes parts un sujet plutôt que d'adopter une approche frontale.
Bien des actrices ont refusé le rôle avant que la courageuse Christine Hébert s'y colle. Les mots peuvent être plus difficiles à assumer que les actes devant une caméra : "Elle", puisqu'elle n'a pas de nom afin sans doute d'incarner la féminité en général, n'hésite pas à annoncer qu'elle se masturbe et à parler de son clitoris. Mais Luc Moullet se dévoile tout autant, exhibant face caméra son petit zizi ratatiné et même furtivement en érection (ce qui vaudra au film une interdiction au moins de 18 ans).
Dès la première scène, on sent que ça ne gaze pas entre les deux : la femme (dont l'opulente poitrine est exhibée agressivement sous sa chemise) est visiblement agacée par son compagnon. Devant la pression qu'il exerce, elle consent pourtant à se déshabiller et à se mettre au lit. Evidemment, ça se passe mal, début d'une longue série.
Claire Brétecher, dans un dessin humoristique, faisait dire à l'une de ses héroïnes : "l'amour avec toi c'est un peu comme les Dossiers de l'Ecran : le film est bien mais le débat après est chiant" (seuls les plus de 40 ans comprendront, les autres ne savent pas ce que sont Les Dossiers de l'Écran ? ). Ici, les débats ne sont pas chiants, plutôt drôles même souvent, lorsque Lui déclare par exemple en substance : "voilà, les hommes et les femmes ont eu des rapports normaux pendant des millénaires et maintenant ça ne va plus, il faut que ça tombe sur moi !"
C'est que Mai-68 est passé par là, éveillant la conscience des femmes. Le film de Moullet se déroule près de 10 ans plus tard, et une nouvelle étape est franchie : on a enfin pris en compte le plaisir féminin, mais on s'aperçoit que l'homme ne sait pas vraiment faire. Il me semble qu'il y aurait encore beaucoup à dire sur le sujet aujourd'hui...
Si l'homme est souvent mis en accusation - malgré toute sa bonne volonté, il ne sait pas faire -, le film a l'intelligence de ne pas être à sens unique : Elle, en effet, lui reproche beaucoup de choses mais avec une certaine brutalité, et sans vraiment lui donner de clefs pour trouver la bonne façon de faire. Résultat : débandade. La fragilité du désir masculin est ici évoquée, thème qui, là aussi, me semble complètement d'actualité en 2021.
La tentation est grande, alors, de ne pas se confronter à cette énigmatique altérité et à trouver son plaisir seul. Madame s'adonne à la masturbation, Monsieur cherche un plaisir plus durable que les "quelques secondes" du coït : par exemple.... le vélo. Mais il existe une injonction de la société sur la question sexuelle et on a vite le sentiment de ne pas être normal. Là aussi, pleinement vrai aujourd'hui. Le questionnement sexuel rejaillit sur le rôle social de l'homme : ses bobines de films ont parfaitement la taille pour finir dans les égouts (cet emboîtement-là fonctionne très bien !).
De sont côté, "Elle" se pose aussi des questions : l'exotisme n'est pas la solution (la scène où elle raconte une escapade "chez les sauvages" le révèle), plus qu'à se poser sur une chaise, préalablement repeinte avec sensualité, face à une fenêtre, et à penser. Cela nous vaut l'une des belles scènes du film.
La pauvre n'est pas gâtée car Lui est tout de même un tue-l'amour sur pattes. Ce look et ce langage surannés, cette voix aiguë... pas vraiment James Dean notre Moullet ! Il y a bien tout de même rapports puisqu'elle tombe enceinte. A son retour d'Angleterre où elle s'est fait avorter, une scène savoureuse : elle raconte une histoire pleine de péripéties, totalement déjantée, avant que lui ne réplique par une autre à la hauteur, une sombre histoire de chèque qui lui a été adressé par erreur (l'histoire est authentique, mais elle est arrivée à la société de Moullet, à qui un gros chèque a été envoyé par confusion avec une autre entreprise : Moullet a encaissé le chèque... mais a dû restituer l'argent).
Finalement, puisque la fusion des corps ne fonctionne pas vraiment, pourquoi ne pas la jouer ? Les deux ont l'idée assez malicieuse de faire un film porno. Mais le porno ne met pas vraiment les femmes à l'honneur, Elle crie donc "coupez !", ce qui déclenche le mot Fin. Très drôle. Mais cette fin ne convient pas à Antonietta Pizzorno, qui cosigne le film avec Moullet, son homme à la ville. On assiste donc, en épilogue, à leurs débats, que Elle et Lui traduisent à l'écran. Les deux personnages s'éloignent de plus en plus à mesure que la caméra avance, on ne voit plus que leurs nez à la fin : une très jolie idée.
Comme il y en a malheureusement trop peu dans ce film : j'avais été fort séduit par Brigitte et Brigitte, riches d'astuces et de trouvailles. Ce film-là est bien plus pauvre. Il a le mérite de briser des tabous, de mettre "les pieds dans le plat", ce n'est pas mince, certes, mais cinématographiquement Anatomie d'un rapport reste une assez petite chose. Sympathique, mais manquant un peu de souffle. Et puis il faut supporter le jeu faux de Moullet, les moments où les acteurs accrochent sur le texte, même si dans l'épilogue Christine Hébert déclare qu'elle ne voit pas pourquoi les acteurs devraient jouer toujours juste ! Bien dans l'esprit de cet espiègle de Moullet qui n'aime rien tant que casser les codes. Indéniablement, cet objectif-là est atteint.