Si l'on admet, comme Youssoupha, que "plus lourde [est] la médaille, plus lourd [est] le revers", on ne s'étonne pas de voir, chaque année, des spectateurs, de mauvaise foi, revenir de leur visionnage de la palme d'or avec une moue dubitative sur la figure. Rabat-joies, partisans de la comédie sociale ou hipsters d'un temps pourtant révolu, je tiens à préciser que je ne suis pas des vôtres. Et, quitte à mettre les choses au clair, je n'adhère pas non plus, mais cela me semble évident, au courant misogyne consistant à se plaindre, de manière plus ou moins subtile, de la vague féminine de réalisatrices qui "rafleraient les palmes d'or ces dernières années".

Anatomie d'une chute n'est pas le premier film de Justine Triet que je vois, j'avais apprécié Victoria, mais sans plus; force est de constater que les deux films partagent beaucoup. Un meurtre, présumé, face à une tentative de meurtre, des livres, encore des livres, partout (réalisme, tendance agaçante des films français à vouer un culte à la bourgeoisie ostentatoire?), une actrice principale qui ne souhaite pas assister à un procès, Sandra Hüller accusée succédant à Virginie Efira avocate, une juge dans les deux cas un peu burlesque et un chien, au milieu de tout ça, comme seul témoin visuel pour Anatomie d'une chute quand il est seul témoin tout court dans Victoria.

Le passage de la comédie au drame semble changer beaucoup dans la réalisation: les dialogues sont infiniment plus soignés, l'image est souvent éclatante avec de beaux plans séquences sur les paysages de montagne, les acteurs sont très convaincants dans la mesure où la caméra et le point de vue général ne s'asservissent pas au personnage principal, qui n'est pas, cette fois, présenté comme fiable et aimable.

L'atmosphère est très travaillée, autour des bruitages, de la bande-son (entêtante, au début, je trouve ça très réussi). En dehors des dialogues, la langue elle-même est un enjeu du film, qu'elle soit littéraire, dans le livre de Sandra Hüller, institutionnelle avec l'éloquence des avocats, amicale ou amoureuse dans les échanges intim(ist)es entre Vincent Renzi et sa cliente, hésitante, balbutiante dans les passages d'une langue à l'autre dans les échanges familiaux en flash-back ou dans les difficultés qu'a Sandra Hüller de s'exprimer en français, elle qui a appris l'anglais comme langue seconde pour trouver un terrain d'entente avec ce mari psychologiquement nébuleux. Cette langue, cette voix qui devient un enjeu du procès quand il s'agit pour Daniel de définir, ou non, s'il entend ses parents se disputer au moment du drame, autour du mythe selon lequel les déficients d'un sens voient les autres se démultiplier.

C'est ce qu'il y a peut-être de plus touchant, cette difficulté à s'entendre, à se comprendre, menant à de longs plans rapprochés et sensibles sur le visage de Sandra Hüller, que ce soit pendant l'interview, au début, à cause de la pollution sonore, ou pendant le procès, à cause de la barrière de la langue sans parler du refus, en guise de retournement au moment où on ne s'y attendait plus, du fils de parler à sa mère.

Si je ne cherche pas à défaire tout le mérite de ce film, l'ennui provient à la fois du format et du scénario: le début frappait fort, avec cette référence visuelle à peine voilée à Shining (les visions/l'aveugle; le père violent / la mère violente; la neige, le sang, l'isolement, l'écriture, les montagnes...), mais le film tombe très rapidement dans le format ennuyeux du "film à procès". 2h40, donc, d'un procès interminable et peu crédible. S'il y avait un équivalent pour les séries ce serait le "Un épisode - un meurtre - une enquête", ce format si confortable et trop commun qui me semble noyer la créativité. Ce format, on le retrouve non seulement et de façon récurrente dans les films "classiques", mais aussi beaucoup et trop dans le cinéma contemporain et extrême contemporain.

Serait-ce pour cela un mauvais film? Non, si Justine Triet apportait du nouveau: on troque petit à petit le Shining alléchant pour un Kramer éculé, où problématiques de couples se mêlent au démêlage d'une culpabilité à laquelle on ne croit pas une seconde car le procès, que l'on juge comme d'habitude comme étant une mascarade (se rappeler des propos de Vincent Renzi au début du film: "la réalité on s'en contrefout"), en est une, mais par la mauvaise foi misogyne d'un avocat de la défense acharné sans cohérence, nous ramenant progressivement à abandonner ce qui faisait la force du film: une certaine sobriété tenue dans la construction psychologique des personnages, et du scénario. Je ne reviendrais pas sur les différents moments de "suspens" qui n'en sont pas, le deus ex machina des preuves qui ne font plus mouche, les pleurs qui semblent vues et revues, le personnage de Samuel trop évidemment affreux, les retournements de situation qui sonnent faux, les potentiels risques qui sont avortés, les libertés qui sont trop contenues par rapport à ce cadre déjà étouffant. Aucune surprise dans le scénario, et une fin cohérente avec le reste, qui, en dernier coup de massue dans la crédibilité, nous vient de Vincent Renzi "on a jamais gagné avant toi".

Du début à la fin, Anatomie d'une Chute ne présente rien de neuf, que du déjà vu, et les meilleurs moments nous semblent recyclés. Très bien, sous tout rapport et très cousu de fil blanc, ce "Shining" made in France manque donc cruellement d'énergie scénaristique, de créativité, d'inventivité.

DanyLeRouge
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le 4 oct. 2023

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