anatomie

nom féminin

1. Étude de la structure et de la forme des êtres organisés ainsi que des rapports entre leurs différents organes. (Anatomie humaine, animale, végétale).

Le titre, comme le synopsis, comme le procès et comme les enregistrements ne nous disent rien. C’est là semble-t-il le motif récurrent du cinéma de Justine Triet : toutes les institutions et les éléments destinés à nous fournir du sens sont insuffisants (sinon nuls). Cela commence par la découverte du décès lorsque c’est le chien qui en s’élançant et la caméra en le suivant à travers un plan ultra-bas, autrement dit le seul incapable de nous dire, de nous expliquer étant un animal, est le plus à-même de nous montrer, de nous faire voir. Et ce motif ré-apparaitra sans cesse : la scène de l’enquête dans la maison à vu de chien elle aussi. Puis plus subitement à travers Daniel. En effet celui-ci, bien qu’étant aveugle est presque le seul capable de nous dire ce que justement il a vu, entendu, et finalement ressenti. C’est vers cela que tend peu à peu le procès et avec lui l’esprit du film : les faits ne suffisent pas à expliquer les faits : les sentiments qui parcourt les coeurs puis les corps des différents personnages nous deviennent nécessaires pour expliquer ce qui justement ne relève semble-t-il que de cela. Et peu importe l’hypothèse envisagée (suicide ou meurtre). 

Pourtant ce n’est pas si simple, et si les sentiments à la différence d’une objectivation forcée et artificielle des événements sont justes, il n’empêche que n’apparait jamais ce que l’on appellera une solution. Comme dans tous les films de procès il y a un « twist » : ici l’enregistrement d’une dispute entre les deux adultes à la veille du décès. Et comme dans tous les bons films ce twist ne solutionne rien, au contraire, il rend les chose plus complexes et du même coup plus intéressante. Le témoignage devient un combat, et la volonté de comprendre devient celle de vaincre. Il faut maintenant gagner contre un mort, gagner doublement et paradoxalement contre lui, tout en le faisant (peut-etre) pour protéger sa mémoire… Cette tension, on la retrouve aussi du coté de Daniel pour qui rien n’est résolu, à tel point qu’il en vient à empoisonner son chien pour « faire une expérience » reproduisant une tentative de suicide de son père dit-il. Je n’en crois rien. Son chien est ce qu’il a de plus cher, il est ses yeux et vouloir le tuer c’est vouloir ne plus voir, devenir véritablement aveugle, ne plus comprendre : choisir… Et c’est ce qu’il fait justement après que l’accompagnatrice chargée de sa surveillance lui est dit que « parfois, quand on ne peut pas trancher sur une question, il vaut mieux choisir que douter. » Cela nous amène à l’ultime témoignage de Daniel, dans lequel il relate une discussion entre lui et son père (dont on ne saura jamais si elle est ou non inventée) ou celui-ci lui parle de la mort prochaine et inévitable de son chien : « c’est de lui-même qu’il parlait… ». Ainsi, tuer le chien (soyons freudien !), c’est aussi tuer le père : ne plus voir afin de ne plus savoir : ne plus avoir à savoir… Notons que lors du témoignage Justine Triet mèle à la voix de Daniel des images de son père parlant dans la voiture, façon de brouiller les pistes : Le père s’exprime-t-il à travers la bouche de Daniel, ou est-ce Daniel qui fait parler son père, peut-etre en faussaire ? 

Finalement si tant de chose ne trouvent pas de solution, il en est une je crois qui n’en trouvera jamais, brisée pour toujours c’est la relation entre le fils et sa mère… Corrompue par le doute puis achevée par une victoire dont Daniel se sait responsable, sans être jamais sûr de sa légitimité, leur relation est la victime suprême de ce tueur en série qu’est le doute. Celui de l’écriture pour le père, celui d’une vie raté « dans ce trou » pour la mère, celui de voir sa cliente et amante coupable pour l’avocat, et celui de ne pas voir vraiment, de ne pas comprendre pour Daniel qui répète à mainte reprise « je ne comprends pas, je ne comprends pas… ». L’agonie d’une sensibilité dans un univers trop complexe pour etre appréhendé clairement. L’ultime séquence, constituée de deux scènes mortifères : La mère portant son fils inerte jusqu’à son lit (ensommeillé mais ayant l’air d’un cadavre dans les bras de sa mère), et cette dernière dormant dans le bureau de son ex-mari, là où ils avaient l’habitude de « finir la nuit », avec contre-elle à la place du défunt… le chien ! Avec tout ce que ces deux dernières scènes supposent… 

N’ayant ni le courage, ni les connaissances pour établir une description plus technique des formes purement cinématographique que Justine Triet et son équipe élabore ici, je ne peux que les admirer sourdement et vous enjoindre d’aller voir ce film ! Tout simplement ! 

La-flute-a-lenvers
10

Créée

le 25 août 2023

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