Dix ans se sont écoulés entre Crazy Family réalisé en 1984, et Angel Dust. Durant cette période, Sogo Ishii tourne essentiellement des courts ou moyens métrages comme ½ Mensch consacré au groupe allemand Einstürzende Neubauten qui tient plus du clip que du film, ou encore The Master of Shiatsu un cours métrage totalement expérimental qui selon Ishii est destiné avant tout à évacuer tous les mauvais sentiments qu'il avait en lui, une sorte de thérapie. Le fossé entre le cinéma de ses débuts et Angel Dust est énorme, Ishii a eu le temps de réfléchir et de mûrir également, il n'a plus la haine farouche contre la société qui le hantait durant sa jeunesse et ça se ressent à l'écran.
Le titre Angel Dust fait référence au surnom donné à une drogue : le PCP. Ceux qui connaissent bien l'univers de Tsukasa Hojo ne sont pas étrangers à cette drogue puisque cette " poussière d'ange " tient un rôle majeur dans le manga City Hunter dans lequel elle était utilisée pour créer des guerriers invincibles, insensibles à la douleur, capables de massacrer tout un régiment en quelques secondes. Dans la réalité, cette drogue qui fut initialement conçue comme un anesthésique fut abandonnée parce qu'elle provoquait des confusions et délires aux patients. Le PCP agit en effet sur l'esprit et le corps provoquant hallucinations et d'étranges expériences de désincarnation ainsi qu'une image déformée du corps. Les usagers perdent leurs inhibitions et, étant moins sensibles à la douleur, deviennent souvent agressifs et violents, ils libèrent également des décharges d'adrénaline, si bien qu'on devient d'une force colossale (aspect reprit par Tsukasa Hojo). Les effets résiduels d'une seule dose s'étalent parfois sur des semaines, voire des mois, et incluent des crises d'angoisse, de panique, de paranoïa et de dépression.
En sachant cela, on comprend donc mieux le film de Ishii qui, si dans sa base de départ pouvait apparaître comme un simple thriller, est en fait un énorme trip hallucinogène qui nous emmène dans les rêves et surtout dans les cauchemars du personnage interprété par la troublante Kaho Minami, reflet de ce qu'a pu ressentir le réalisateur qui avoue avoir été dans un état second en écrivant le script. Pour souligner cet aspect, la plastique et la beauté visuelle du film sont remarquables, sans oublier de mentionner le son qui a énormément d'importance.
Finalement, si aux premiers abords encore une fois le film peut paraître complètement différent du reste de sa carrière, Angel Dust reste avant tout une expérience qui se ressent plus qu'elle ne se comprends (j'entends au niveau narratif) pas très éloigné finalement d'un film comme Electric Dragon 80000 Volt qui est en apparence complètement différent. L'énergie que met Sogo Ishii dans chacun de ses films est belle et bien toujours présente mais elle se traduit tout simplement sous une autre forme, plus introspective et " isolatoire ". Les superbes plans contemplatif de la ville de Tokyo, les visions de Kaho Minami à travers ses lunettes de soleil teintées de bleu essayant d'isoler une femme dans une foule abondante aux alentours du Tokyo Dome, les plans en noir et blanc au grain très prononcé issus des caméras de surveillance, les plans épileptiques des diapositives associés aux bruits mécaniques de leur projecteur, le son assourdissant du métro, les nombreux petits bruits comme ceux des aiguilles d'une horloge ou encore les longs silences renforcent encore plus cette impression à la fois de rêve et de cauchemar éveillé.
Cependant, si l'on aborde le film comme un thriller, difficile de se raccrocher à une histoire de profiler qui lorgne du côté de Manhunter car la narration plus sensorielle et métaphysique qu'à proprement dit " classique " ne nous permet jamais de nous accrocher réellement à autre chose qu'à l'univers visuel et sonore du film. Et c'est là le gros défaut, une lenteur hypnotique et une Kaho Minami en détective très froide et antipathique qui empêche tout attachement ou identification du spectateur pour le personnage font qu'au niveau d'un cinéma plus classique, l'accroche ne se fait jamais tout au long du film.
Angel Dust est donc un film à double tranchant car sous peine que le spectateur n'adhère pas à cette expérience sensorielle et cherche à se rapprocher d'une vision plus classique, il sombrera alors dans un long ennui interminable.