Aniara, c’est une navette spatiale, qui permet de transporter des milliers de passagers sur Mars, en trois semaines, la Terre étant devenue invivable. Aniara, c’est un immense centre commercial sans limite, à disposition des passagers, nécessairement consommateurs. Sans limite au point qu’il propose même un service d’immersion terrestre : la Mima, intelligence artificielle vivante et sensible, dont s’occupe la non-nommée mimarobe, personnage principal du film. La Mima est, elle, la bien nommée : elle permet aux voyageurs de revivre des éléments de leur passé sur Terre en mimant des sensations grâce à un travail sur le psychisme.
Aniara, c’est la réalité inversée. Car très vite, un accident compromet le bon déroulement du voyage de trois semaines, qui devient un voyage infini, dans l’infini. Dès lors, on quitte la réalité de la Terre : la Mima meurt rapidement, essoufflée par ses visiteurs, la nuit de l’espace en profite pour remplacer totalement le jour terrestre. Plus qu’inversée, la réalité d’Aniara est destructrice pour les habitants du vaisseau, devenus prisonniers.
L’expérience immersive n’est plus la Mima, mais la vie concentrée dans un espace clos, compris lui-même dans un espace immense. Il devient alors l’endroit où peut se dérouler le cinéma empreinte de cette autre réalité, dont le spectateur peut observer la beauté démontrée à l’image. Pour ce faire, les cinéastes Pella Kagerman et Hugo Lilja utilisent des effets de plateau. C’est donc des éléments concrets tels que les décors et la lumière qui vont créer un univers science-fictionnel. Cette importance de l’effet de plateau et du travail sur le décor comme espace clos empêche l’ouverture de l’espace diégétique, à l’exception de quelques plans sur le vaisseau à la dérive, allant jusqu’à une sensation d’étouffement.
C’est là véritablement que l’inversion s’opère : à l’opposé de la plupart des films de science-fiction qui se déroulent dans l’infinité de l’espace, Aniara ne cherche pas à s’y déployer. Le film ne constitue pas une exploration, ou une conquête, mais déjà une perte, terrible, dans un milieu qui est inlassablement le même. Cette inversion conduit à embarquer le spectateur qui, lui aussi, ressent la perte et le désemparement.
Face à ça, la Terre devient un effet spécial. Cela passe par leur absence concrète, lorsque la Mima nous transfert dans un Eden terrestre perdu ; ou bien par leur mise en scène explicite. Et c’est pour montrer la Terre, à la fin du film, que le numérique est utilisé de la manière la pus spectaculaire. La mimarobe parvient en effet à projeter, à partir du vaisseau et dans le vide de l’espace, des images de souvenir terrestre, à l’instar de la Mima. La Terre est ainsi représentée le plus simplement possible, avec de l’eau et des forêts, mais sous la forme complexe du numérique, ce qui permet de montrer sa distance, sa perte totale. Cette sorte d’écran artificiel est essentiel, dans la mesure où il permet de représenter, littéralement rendre à nouveau présent, la Terre, tout en symbolisant son absence. Pour les personnages, la Terre constitue un spectacle cinématographique à part entière, ce qui ne fait que mieux signifier son absence. Ce spectacle est lui-même mis en abîme pour nous, qui sommes encore sur Terre et devant notre propre écran, mais pour mieux ressentir le danger de cette perte.