Comment une existence peut-elle être à la fois vide et trop pleine ? Voici le paradoxe qu’illustre pourtant la première réalisation de la cinéaste hongroise Zsofia Szilagyi, centrée sur le personnage d’Anna (Zsofia Szamosi), mariée à Szabolcs (Leo Füredi) et mère de trois jeunes enfants, pas toujours emplis de gratitude face au dévouement maternel. Ou lorsque le fait de se consacrer corps et âme aux autres, même très proches, de leur émietter chaque minute de son existence, détourne et finalement éloigne de ce qui est essentiel, de ce qui brûle à l’intérieur de soi comme unique moteur et organisateur.


Titré « Egy Nap », « Un Jour » en hongrois, ce premier film de celle qui fut assistante à la réalisation dans le superbe « Corps et âme » (2017) d’Ildiko Enyedi (https://www.senscritique.com/film/Corps_et_Ame/24851754) aurait pu porter le titre de la nouvelle de Zweig, « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme » (1927). Et cela d’autant plus que l’une et l’autre œuvres marquent un point de basculement, resserré sur une journée, dans la vie de leur héroïne. Mais, significativement, ces « vingt-quatre heures », outrepassant d’ailleurs de quelques unités un tour de cadran, s’ouvrent de manière aussi paradoxale que le grand œuvre de Proust, qui valut à leur auteur tant de déboires dans sa quête de publication, puisqu’elles prennent naissance dans la nuit, au soir d’un jour qu’on imagine identique à celui qui nous sera montré, en tout cas en ce qui concerne son déroulement étroitement chronométré.


Nous sommes dans le réalisme cinématographique des anciens pays de l’Est : les couleurs sont ternes, sombres, la poussière qui recouvre le tableau de bord de la voiture parentale semble authentique, lentement incrustée, et non pulvérisée d’on ne sait quelle manière sur du flambant neuf pour les besoins du tournage ; les activités infantiles s’enchaînent, nécessitant voiturages, attentes et stationnements aléatoires de la part de la mère, qui ne parvient pas à honorer le rendez-vous téléphonique pourtant important fixé avec son mari. Le babillage et les chamailleries des enfants, qui semblent mettre leur point d’honneur à détourner leur maman de ses préoccupations, par tous les moyens, bons ou mauvais, achèvent de rendre cette journée insupportable... Et l’on comprendrait presque le père, sur le point de fuir toute cette agitation et ces conversations oiseuses, pour retrouver ailleurs le calme et la plénitude d’un lien duel...


Le film bute peut-être sur une difficulté prévisible : comment rendre palpitante la peinture de l’inanité attachée à une saturation d’activités privées d’âme ? Il n’empêche : il parvient cependant à brosser un portrait inquiétant et saisissant de cette dévoration de la vie affective des parents par les enfants, moderne retournement du mythe de Chronos dévorant sa progéniture...

AnneSchneider
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le 8 avr. 2019

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Anne Schneider

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