Auto-Annihilation
Après une belle série de ratés cinématographiques, débarque enfin le film Netflix le plus prometteur. Un projet SF avec Nathalie Portman, par un jeune réalisateur dont le premier film Ex Machina...
Par
le 13 mars 2018
220 j'aime
56
J’ai le cœur qui bat à 100 à l’heure, mes mains tremblent, j’encaisse. J’encaisse ce qu’il vient de se passer, ce qu’il vient de se dérouler sous mes yeux. L’expérience est traumatisante et laissera des traces. Et pas étonnant qu’il soit si éprouvant, Annihilation est une métaphore de la dépression, qui passe inévitablement par l'auto-destruction, mais abouti à une renaissance, une hybridation nouvelle du Moi.
It's not destroying... It's making something new.
Pourtant, les dernières productions Netflix n’avaient rien de rassurantes. La hype autour de leurs derniers films étaient rapidement redescendue suite à une vague de déceptions (Bright, Cloverfield Paradox, Mute…). Alors qu’on apprenait que Netflix se chargerait de la distribution dans le monde, hors Amérique du Nord, le pire était à craindre.
Mais c’était mal connaître Alex Garland. Scénariste de 28 jours plus tard et de Sunshine, réalisateur d’Ex Machina, le monsieur a déjà marqué la Science Fiction. Ces trois films recelaient déjà d’idées d’anticipation géniales. Annihilation fait la synthèse de ses trois films. Elle reprend l’exploration d’un territoire inconnu de Sunshine, la contamination globale de 28 jours et l’humanisation d’une forme d’intelligence avancée d’Ex Machina.
Les idées ne suffisent pas à faire un bon film. Garland l’a compris et la tension présente dans Annihilation est étouffante. Une équipe est formée pour explorer une zone surnaturelle (un peu à la Stranger Things). Et à partir du moment où l’on rentre dans cette zone, la plongée en apnée commence. Les événements s’enchainent à vitesse folle. Il y a bien quelques flash back et flash forward, quelques rares scènes d’exposition qui donnent des informations sur les personnages. Mais à aucun moment, la tension ne redescend. Annihilation, c’est une montée en puissance et en folie à la Apocalypse Now. En atteste ce final complètement dingue, où le chemin prend fin, où la folie devient contagieuse.
Là où Sunshine échouait dans son final, Annihilation relance le débat. La dernière scène, digne d’Inception, laisse plein de questions, donne envie de directement se replonger dedans à la recherche du moindre indice, du moindre détail. Annihilation sera analysé, décortiqué comme l’être surnaturel qu’il est. Il sera surtout influent pour les décennies à venir.
La direction artistique est de toute splendeur. Garland avait fait déjà étalage de sa maîtrise des couleurs dans Ex Machina, mais restait dans un environnement limité et sobre. Ici, le terrain de jeu permet à sa créativité d’explorer des contrées lointaines. Une fois la barrière surnaturelle passée, il explose d’originalité. Le thème de la mutation des éléments étant dominant, sa patte fait penser au style rococo, avec une touche de poésie indéniable. Ses tableaux sont expressionnistes, offrent une palette de couleur illimitée.
Si l’image est reine, le son est roi. Il est primordial de disposer d’un casque ou de bonnes enceintes pour saisir tout le travail de mixage. Le son joue un rôle prédominant dans la tension, la peur, mais aussi l’émerveillement. Annihilation joue fortement sur son ambiance, de plus en plus surnaturelle alors qu’on s’enfonce au cœur de cette jungle.
Le tattoo, qui apparait de temps en temps sur l’avant-bras de Lena, représente l’Ouroboros, le serpent qui se mord la queue. On retrouve donc cette thématique implicite de l’auto-destruction. On découvrira plus tard que Tanya portait ce même tattoo. Il était couvert par des manches longues, afin de couvrir ses cicatrices (Une tentative de suicide, forme ultime d’auto-destruction). On peut donc supposer que le dessin s’est transposé de Gina à Lena via le miroitement.
Annihilation n’est pas un film d’extra-terrestres. Comme pour Premier Contact, c’est en allant vers l’autre qu’on en apprend sur l’humain.
Annihilation n’est pas un film sur la fin du monde, mais plutôt sur le monde en constante mutation. Ces changements qui nous font peur, alors qu’ils nous veulent du bien.
Annihilation n’est pas un film d’exploration de territoire inconnu. C’est un voyage intérieur, un voyage spirituel passionnant, sur la dépression, sur ce qui nous fait avancer. La métaphore autour de la dépression et de l’autodestruction parcourt tout le film : cancer, suicide, alcool, deuil, autant de fardeaux que nos personnages doivent porter. Et face à la dépression, nos quatre personnages vont représenter quatre réactions différentes.
Ventress wants to face it. You want to fight it. But I don't think I
want either of those things.
Le lieu surnaturel ne laisse passer aucune communication, il vous isole du monde extérieur. Et comme de nombreux dépressifs, les humains qui rentrent dans le shimmer, ne mangent pas et ont ont des black out. En outre, ce lieu modifie l’ADN, rend fou, comme le ferait une maladie mentale. Autre indice : ce passage traumatisant avec l’ours. Shepard est enfermée, elle crie désespérément à l’aide, sans pouvoir expliquer ce qu’il se passe.
Enfin, la comparaison entre le propos du film et sa distribution est tentante. La Paramount avait décrété ce film comme « trop intellectuel » et « trop compliqué ». Refusant les changements de la Paramount, Garland s’est tourné vers Netflix. C’est certain qu’un tel film, j’aurais aimé le voir sur grand écran, rien ne remplacera jamais l’expérience du cinéma, comme celle de feuilleter un livre.
Mais Netflix a respecté son réalisateur en sortant son film sans modifications. Il a respecté le spectateur en ne décomplexifiant pas l’histoire. Comme dans le film, Netflix est ne nous veut pas de mal, il n’est pas venu détruire le cinéma, mais il pose sa pièce dans la mutation de la distribution.
Annihilation est une expérience traumatisante, de par sa beauté, sa tension, son message. Il livre une métaphore sur la dépression tout au long de son récit, agrémenté d'un phénoménal jeu de sons et lumières. Il vient enrichir l'histoire de la science-fiction et influencera de nombreux auteurs à sa suite.
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films de science-fiction, Les meilleurs films du catalogue Netflix Belgique + AVIS, Les meilleurs films originaux Netflix, Les meilleurs films avec Jennifer Jason Leigh et Les meilleurs films avec Natalie Portman
Créée
le 12 mars 2018
Critique lue 5.9K fois
115 j'aime
15 commentaires
D'autres avis sur Annihilation
Après une belle série de ratés cinématographiques, débarque enfin le film Netflix le plus prometteur. Un projet SF avec Nathalie Portman, par un jeune réalisateur dont le premier film Ex Machina...
Par
le 13 mars 2018
220 j'aime
56
Les premières minutes du film nous plongent d'emblée dans une ambiance de mystère qui restera un des points forts d'Annihilation. Léna (Natalie Portman) est interrogée par un homme en combinaison NBC...
Par
le 13 mars 2018
178 j'aime
2
J’ai le cœur qui bat à 100 à l’heure, mes mains tremblent, j’encaisse. J’encaisse ce qu’il vient de se passer, ce qu’il vient de se dérouler sous mes yeux. L’expérience est traumatisante et laissera...
Par
le 12 mars 2018
115 j'aime
15
Du même critique
J’ai le cœur qui bat à 100 à l’heure, mes mains tremblent, j’encaisse. J’encaisse ce qu’il vient de se passer, ce qu’il vient de se dérouler sous mes yeux. L’expérience est traumatisante et laissera...
Par
le 12 mars 2018
115 j'aime
15
Passé l’exercice de style, accompli avec un brio rafraîchissant et sans précédent, de Birdman, Inarritu revient avec une œuvre, toute aussi maîtrisée, mais plus complète. Dès l’une des premières...
Par
le 28 déc. 2015
114 j'aime
18
On le savait déjà, les réalisateurs hollandais n'ont pas froid aux yeux. Et pour dire les choses comme elles le sont, ce film est insoutenable. Que ce soit le glauque vif, l'absence de morale, les...
Par
le 27 mars 2017
103 j'aime
8