Les premières minutes du film nous plongent d'emblée dans une ambiance de mystère qui restera un des points forts d'Annihilation. Léna (Natalie Portman) est interrogée par un homme en combinaison NBC dans une chambre d'isolement, et elle ne peut pas répondre aux questions qu'on lui pose. Pourquoi elle a disparu pendant 4 mois alors que, pour elle, seules 2 semaines se sont écoulées ? Pourquoi elle ne se souvient pas d'avoir mangé ? Où sont disparues les autres personnes qui l'accompagnaient ?
L'une des forces évidentes d'Annihilation, c'est d'avoir créé un univers énigmatique, un monde de tous les possibles. A partir du moment où l'équipe rentre dans la région du Miroitement, le monde semble échapper aux règles habituelles de la physique. Toutes les lois qui sont à la base de nos sciences modernes sont chamboulées. L'impossible se produit sans cesse, comme si la nature était atteinte de démence. L'ADN de plantes et d'humains se mélangent. Des animaux étranges et inattendus apparaissent, mariages improbables de races qui ne pourraient pas aller ensemble.
Bien entendu, pour un cinéaste doté d'un tantinet d'imagination, un tel postulat de départ est un don du ciel. Et Alex Garland s'en donne visuellement à cœur joie, nous offrant des images magnifiques de plantes à forme humaine ou de cerfs blancs de toute beauté. Il sait tirer partie de la liberté visuelle que lui confère le scénario sans en faire trop, sans nous inonder de CGI, parce que là n'est pas le propos du film. Les trucages sont mis au service de l'histoire, et non pas l'inverse.
Mieux : Garland parvient à instaurer une ambiance à la fois poétique et inquiétante. Le film est en équilibre constant entre l'horreur et le contemplatif, le beau et l'angoissant. Et c'est justement par son questionnement, par son aspect énigmatique, que le film parvient à être aussi anxiogène. L'absence d'explications, l'ambiance musicale, la nature atteinte de folie, l'imprévisibilité, tout contribue à cette atmosphère morbide contrebalancée par les indéniables qualités esthétiques.
« C'était fantasmagorique.
_ Cauchemardesque ?
_ Pas toujours. Ça pouvait aussi être beau parfois. »


Annihilation jour aussi beaucoup sur une assimilation entre la nature et les personnages eux-mêmes, jouant sur une similarité entre macrocosme et microcosme. En gros, ce qui arrive en géant, au niveau de la nature elle-même, arrive aussi en petit au niveau des humains. Les mutations qui bouleversent les règles de la nature affectent aussi les humains. Le code génétique des personnages change, les empreintes digitales bougent, même les entrailles sont en mouvement. La folie qui gagne la nature atteint aussi les humains ; des esprits habitués à un monde cartésien ne peuvent supporter que toutes les lois de la physique et la biologie soient changées d'un coup.
Là où l'assimilation entre la nature et les humains est la plus visible, c'est dans la comparaison avec le cancer. Au début du film, Léna donne son cours de biologie et on peut y voir des cellules qui se divisent. Symbole de la vie... ou de la mort, puisque ces cellules sont des tumeurs malignes. Et cette image de la tumeur cancéreuse qui se répand va être constamment associée aux personnages principaux (une fille morte de leucémie, un des membres de l'équipage mourant d'un cancer) et à la nature. « On parlerait de pathologie si on voyait ça sur un humain », dira Léna, avant d'affirmer, plus loin : « des mutations. Malignes, comme des tumeurs. » Ainsi, comme le cancer est une mutation des cellules vivantes, ce qui arrive dans le Miroitement est une mutation de la nature. Une forme d'auto-destruction inscrite en chaque cellule.
Cette folie semble carrément atteindre le film lui-même, en particulier dans sa gestion de la chronologie. On sait vite que le déroulement du temps est affecté sous le miroitement, et tout cela semble avoir aussi de l'influence sur le récit. Les flashbacks viennent de façon imprévisible et illogique, comme si l'ensemble du long métrage était affecté également.


Hélas, il faut compter quand même quelques défauts au film de Garland. Les personnages sont trop transparents, dessinés d'un minuscule trait de plume. La fin est plutôt décevante aussi. Mais dans l'ensemble, Annihilation nous propose un voyage original, inattendu et beau dans un monde de folie et de poésie, et Garland nous montre avec plaisir ce qu'un cinéaste peut faire avec une telle liberté.


[7,5]

SanFelice
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le 13 mars 2018

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