Lars Von Trier est un provocateur. Et en tout bon provocateur, il cherche toujours des outils appropriés pour servir au mieux son récit. Devant la virulence des critiques lancées contre son œuvre, il a joué aussi au petit malin en évitant de nous donner le fond de sa pensée, avide de voir jusqu’où nous pourrions aller dans l’analyse de son œuvre. Il nous étudie un peu aussi, avec ses films, en nous confrontant à de vrais chocs pour voir comment nous allons réagir. On décide ou pas d’entrer dans son jeu, et quand on a fait son choix, on s’embarque dans une aventure inattendue dont l’issue demeure toujours incertaine. Ici, l’image est merveilleuse, c’est clairement le film le plus soigné de sa filmographie (mais attendons le prochain Melancholia avant de figer ce constat), et cette qualité plastique formelle (dont on a reproché un style publicitaire, ce qu’il ne faut pas entendre comme conneries…) lui permet de créer de purs moments d’onirisme. C’est bien simple : le mouvement est tellement figé que l’eau acquière une viscosité qu’on ne lui connaissait pas, et que l’air devient une sorte de boue invisible qui ralenti considérablement les avancées de nos protagonistes. Par ces anti-bullet times, Lars nous propulse directement sur un plan réflexif (sur le même ton que la thérapie) et nous invite à explorer les tréfonds de la nature féminine. Car c’est bien le personnage de Charlotte Gainsbourg qui est au cœur de l’histoire. Willem Dafoe est parfaitement compréhensible, il a une attitude logique au cours du film, et si il a de prime abord une logique psychologique, il va peu à peu régresser à un stade bestial (y contribuera le fait que la seule manière de calmer sa femelle pendant ses crises sont des séances de sexe torrides), qui l’amènera à commettre un acte que le film décrit comme viscéral et pratiqué depuis la nuit des temps. Quant à Charlotte Gainsbourg, elle est incroyablement convaincante en émissaire du Mal, accomplissant ses petits caprices sadiques à dessein. Car c’est bien là que réside le contenu explosif du film. Il s’attèle à nous prouver que dans cette histoire, si l’homme peut régresser facilement au rang de la bête, la femme n’en est jamais très loin. La révélation est d’autant plus choquante que pour se faire, Lars utilise des approches très similaires à celles employées dans Manderlay ou Dogville : c’est la Femme elle-même qui revendique sa nature maligne, et nous aurons plusieurs portraits sordides détruisant l’image rassurante de la bienveillance maternelle habituellement véhiculée (les chaussures inversées, la biche avec un faon mort-né coincé dans son utérus, le fameux renard qui parle devant sa progéniture s’auto éventrant…). Le meilleur exemple en est bien sûr la scène d’ouverture, complétée par un détail capital dans le dernier chapitre, suivi par la fameuse séquence du clito amputé aux ciseaux. Après des problèmes comme le racisme et l’accueil de son prochain, c’est ici la relation Homme-Femme qui est abordée, et elle ne l’est pas dans la demi-mesure. La femme, loin d’être la proie de l’homme, peut se révéler comme une vraie furie, et à l’image de la nature se pervertissant peu à peu pour devenir carrément hostile (Sam Raimi devrait prendre son pied dans cette version torturée de la forêt noire), elle révèle peu à peu la Nature profonde de ce qu’est la Femme. Soit des sentiments difficilement accessibles à la compréhension masculine, qui aurait tendance à les voir alors comme des pulsions. On peut voir beaucoup de choses dans Anti Christ (une étude plus détaillée de la sexualité qui y est dépeinte ne serait pas de trop, notamment sur le plan des frustrations de l’homme et de la femme, qui sont très différentes ici (trouvant l’orgasme dans un moment réellement dramatique dont la durée est prolongée à l’extrême)), mais c’est indubitablement ce discours qui prédomine. Pourtant, faut-il taxer ce film de misogyne comme beaucoup se sont amusés à le faire (s’ils n’étaient pas occupés à ironiser sur une violence dépassant leur seul de tolérance Tout public) ? Pas vraiment, Lars renvoyant aussi l’homme à ses responsabilités (et donc à ses fautes). Le mari est loin de sortir intact de cette aventure. Si le final a des airs de calme revenu sur la forêt, il n’en est pas moins seul, blessé, et incapable de perpétuer l’espèce. En bref, il faut Trier (ha ha !) un max pour tenter d'y voir clair, mais Lars nous offre un p*tain de trip (parfois incompréhensible) doublé d’une machine réflexive forte (rien de tel qu’un film ambigu pour cerner la pensée du spectateur quand celui-ci s’exprime, c’est ce qui m’a donné l’idée des DVI), esthétiquement chiadé et porteur d’un message pour le moins sulfureux (en tout cas, une thématique universelle à soumettre à la volonté de chacun). Une œuvre qui restera toujours un peu une énigme, mais qui comblera l’amateur de masturbation cérébrale autant que celui de mauvais goût.

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le 27 août 2014

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Voracinéphile

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