Un objet curieux, démembré, comme en perpétuel mouvement : Anticipation of the Night passe à la centrifugeuse un nombre incalculable de formes tour à tour harmonieuses et disgracieuses, lumineuses puis moirés, incertaines toujours. Le moyen métrage de Stan Brakhage s'apparente à une étrange promenade dans l'ombre et le gauchissement, un film dont le centre de gravité se trouverait constamment désorienté : ne ressemblant qu'à elle-même l'oeuvre se présente comme une proposition de cinéma peu commune, d'une beauté tout à fait relative. C'est à la fois très intriguant et ennuyeux.
Principalement sombre et répétitif le film n'a résolument ni fin ni même début, morceau de cinéma expérimental nous invitant à nous perdre dans un joyeux bordel de plans floutés. On y distingue un nourrisson en plein éveil printanier, des enfants jouant au tourniquet ou encore quelque volatile sur un étang trouble. Le champ de vision de Anticipation of the Night est proprement inconfortable, en raison d'une caméra imperturbablement mobile. Stan Brakhage donne parfois l'impression d'avoir simplement rassemblé les rushes de sa collection d'enregistrements filmiques, se contentant de laisser tourner le moteur sans se donner la peine d'installer une forme quelconque de cohérence visuelle : on peut tout à fait y voir un certain penchant pour l'imposture artistique, sorte de fatras parfois indigeste et pénible à regarder.
Brakhage est assurément plus à l'aise sur les formats courts, comme en témoigne son très beau Love Song ou encore le pénétrant Black Ice et le fugace Eye Myth, formidables travaux pelliculaires assumant pleinement leur forme ébauchée. Ici la durée de cette anticipation vespérale peine à tenir sur la longueur, malgré l'intérêt que l'on peut porter à la démarche du cinéaste. Une semi-déception.