En 2007, dans les steppes arides de la Mongolie chinoise, le chinois Wang Quan'an, qui fait partie de la « sixième génération » des réalisateurs de son pays, se penchait déjà avec Le Mariage de Tuya sur la figure du trio (une femme et deux hommes) et sur l'évolution de la société chinoise, marquée par le passage rapide du dénuement et de l'enracinement (géographique et social) au matérialisme et à l'économie de marché. Quelle ville mieux que Shanghai pour illustrer l'extraordinaire métamorphose ? C'est en tout cas dans cette métropole devenue la vitrine d'une Chine moderne et triomphante, en même temps qu'elle est aujourd'hui considérée comme la cité emblématique du 21ème siècle que Wang Quan'an pose sa caméra pour son sixième film qui prend appui sur un fait historique exposé en préambule. À la fin des années 40, l'armée du parti nationaliste chinois battue par les troupes communistes de Mao est contrainte de se retirer sur l'île de Taïwan. Il va falloir un demi-siècle pour que les relations tendues marquées par des épisodes militaires et diplomatiques proches du conflit fassent place à une certaine démocratisation et au renforcement des liens économiques entre la Chine et celle que Mao considérait comme sa 21ème province. L'ouverture de la Chine au capitalisme ainsi que les énormes potentialités qu'elle engendre ont d'ailleurs facilité un rapprochement avant tout dicté par les intérêts financiers.

Sur fond de réalité historique, le réalisateur de La Tisseuse met en scène le retour à Shanghai après cinquante années d'absence de Liu, venu retrouver celle qui fut sa femme, Yu'e, qu'il dut abandonner, enceinte, pour se réfugier à Taïwan. À l'heure de la normalisation, les choses ont bien changé aussi bien dans la vie de Yu'e, qui s'est remariée et a eu, en plus du fils de Liu, deux filles que dans la mégapole que l'ancien soldat peine à reconnaitre. Néanmoins, l'enjeu du film se situe bien au niveau de la cellule familiale recomposée : réconciliation, nouveau départ ou persistance de l'incommunicabilité. La principale originalité de Apart Together est à chercher du côté des scènes de repas qui représentent la moitié du film au moins. Au-delà du trait d'humour de Wang Quan'an qui confesse que l'estomac est plus profond que l'esprit, la gastronomie a une place de choix en Chine, mais aussi le rituel des repas qui constituent pour les Chinois le moment propice, sinon unique, à l'exposition, et peut-être la résolution, des problèmes. À force de manger et de pas mal boire aussi, les esprits s'échauffent parfois, les rancœurs resurgissent et mettent à jour les clivages que la trop longue séparation n'a pas manqué de créer. En toile de fond, Shanghai en pleine transforme témoigne de l'évolution à grande vitesse du pays, qui porte pourtant en elle quelques déconvenues. Quitter un vieil appartement où prenait plaisir la famille à se réunir – et même à s'engueuler – pour un autre dans une immense tour dans les nouveaux quartiers de la ville ne se révèle pas au final une bonne idée. Auréolé de l'Ours d'argent du meilleur scénario au dernier festival de Berlin, Apart Together analyse avec finesse et subtilité, sans oublier l'humour et la fantaisie, les relations humaines et les dégâts sur le plan individuel et privé des événements historiques : hier les divergences entre la Chine continentale et Taïwan ; aujourd'hui la marche forcée vers l'économie capitaliste.
PatrickBraganti
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le 8 mars 2012

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