"La patrie de mon enfance est mon dernier foyer"
1949. Les nationalistes de Tchan Kei-check doivent quitter la Chine continentale suite à la victoire des Communistes de Mao. Ils se réfugient sur l'île de Taiwan, provisoirement pensent-ils, abandonnant souvent leur famille.
Ils n'ont, bien entendu, pas le droit de revenir sur le continent.
2005. Plusieurs d'entre eux obtiennent enfin l'autorisation de venir revoir leur famille. Liu Yan-sheng débarque à Shanghaï pour retrouver la femme qu'il avait laissée, enceinte, 56 ans plus tôt. Bien entendu, chacun a refait sa vie entre temps.
Et c'est presque en étranger qu'il revient. Il ne parle plus la langue locale, il ne connaît plus grand chose dans cette ville qui a violemment changé en quelques décennies d'absence.
Et puis surtout, il ne connaît plus vraiment sa femme. Et ils sont là, à se raconter leur vie. lui, gardien d'une frontière hautement surveillée, rêvant de la traverser pour rejoindre sa légitime. Elle, qui a connu le déshonneur d'être "femme de nationaliste", rejetée, délaissée ; elle qui a subi toutes les souffrances d'une Révolution Culturelle qui a atteint des sommets d'horreur.
Il s'agit de se présenter à nouveau, de combler près de 60 ans de vide. Et nos deux personnages se retrouvent dans une situation paradoxale, à la fois intimes et étrangers. Leur histoire devient celle, absurde, d'un peuple à la fois unique et divisé, séparé par des volontés politiques, victimes de décisions qui ne prennent pas en compte le peuple (quoi qu'on en dise).
Forcément, ce retour pose beaucoup de questions.
Veuf, Yan-sheng est venu avec l'intention clairement exprimée de ramener sa femme à taiwan avec lui. Mais quelle attitude adopter envers Lu, le second mari de Yu-e (le vrai mari ? Après tout, ils ont passé des décennies ensemble) ? Et que vont penser les enfants de Yu-e et Lu ?
Et le fils, considérera-t-il cet homme qu'il n'a pas connu comme son père ou un simple géniteur ?
Derrière une réalisation discrète et une chronique de la vie quotidienne qui paraît très simple, le cinéaste pose des questions sur la Chine actuelle. Et, comme les grands réalisateurs chinois savent si bien le faire, il dresse un film subtilement politique, un portrait de cette Chine qui avance sans s'occuper un seul instant de sa population. Une Chine qui aime étaler sa modernité (cette scène de la ridicule promenade en bus pour voir les merveilles du quartier des affaires) mais n'hésite pas à expulser les habitants de leur maison traditionnelle pour les reloger dans des immeubles impersonnels pas encore construits. Une Chine des tracasseries administratives ridicules, là aussi (la scène du certificat de mariage).
En un film sobre, émouvant sans jamais tomber dans le pathos, en une mise en scène à la fois simple et travaillée (avec de très beaux plans séquences), avec douceur et humanité, le cinéaste dresse un très beau portrait, un film remarquable de tendresse. Le rythme est lent sans jamais être ennuyeux, et toujours beau et juste.