Le récit de survie est l'un genre des plus traditionnels dans la littérature (on dira que l'un des modèles est évidemment le "Robinson Crusoé" de Defoe), et par extension dans le cinéma. Sa fonction est classiquement d'exalter les capacités de survie de l'homme, son intelligence face à l'adversité… comme récemment illustré sur nos écrans par le très, très optimiste "The Martian" de Ridley Scott. Une tendance plus moderne, intégrant sans doute notre profonde culpabilité vis à vis de ce que nous faisons à la planète, a renversé cet égocentrisme pour au contraire rendre la nature toute-puissante, face à laquelle tous les efforts de l'être humain semblent dérisoires. Dans le meilleur des cas, il peut y avoir dans le récit de survie une source féconde de questionnement sur ce que nous sommes au sein de l'univers, ou plus trivialement, nos valeurs et nos croyances.
Ce dernier aspect, sans doute le plus passionnant, celui de la métamorphose qui peut s'opérer en nous, de cette sorte de révélation potentielle de notre humanité face aux obstacles les plus extrêmes - la solitude, le climat, les animaux prédateurs menaçants, la nécessité de se nourrir - est complètement évacué de "Arctic", film qui fait le choix de se concentrer sur le "pendant", en ignorant l'avant (qui est le personnage interprété par Mads Mikkelsen ?...nous ne le saurons pas...) comme l'après. Et cette modestie de l'approche de Joe Penna, le réalisateur et scénariste, et Ryan Morrison, le co-scénariste, est à la fois la grande qualité de "Arctic" et son plus grand défaut : en l'absence de… "transcendance", le "spectacle" qui nous est offert ici pendant plus d'une heure et demi, pour éprouvant qu'il soit, reste affreusement banal dans son absolue horreur. L'ennui guette parfois, même si clairement l'ennui fait partie du programme pour un homme bloqué dans les glaces du pôle et attendant du secours, et que l'identification recherchée - et rapidement obtenue, c'est l'une des grandes qualités d'"Arctic" - avec le héros est clairement ce qui porte le film de bout en bout.
Quand on connaît les origines "youtubesques" du Brésilien Joe Penna on ne peut quand même qu'être agréablement surpris par la rigueur du film qu'il nous propose ici, qui ne se construit que sur un seul coup de force scénaristique - qu'on ne dévoilera pas ici pour ne pas gâcher le "plaisir" - et qui évite à peu près toutes les embuches du cinéma moralisateur à l'américaine… A peu près, car on se serait bien passé de coup du Destin qui punit notre héros lorsqu'il baisse - enfin - les bras devant l'implacabilité des événements, ainsi que de cette dernière image, heureusement fugitive, qui sonne comme une récompense un peu forcée pour les tortures endurées. Pour le reste, "Arctic" se cantonne à un réalisme total, et donc parfaitement saisissant, qui lui confère même parfois une force inédite, ou en tout cas inhabituelle.
Pour finir, célébrons une fois encore la présence remarquable de Mads Mikkelsen, grand acteur de l'extrême, qui fait passer toute une palette de sentiments dans un rôle quasi muet, et irradie la pellicule. Sans lui, "Arctic" ne serait pas la réussite qu'il est.
[Critique écrite en 2019]
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