Un très beau film, qui réfléchit avec justesse sur l'entre-soi social et sur la façon dont il est vécu différemment par les hommes, par les femmes, mais aussi par les anciennes et nouvelles générations. Comment on reste dans un milieu, comment on y entre, comment on en sort ...
C'est l'histoire d'une jeune femme qui découvre (peut-être un peu tard) qu'il y a un monde en-dehors du sien, qu'il y a une vie autre que celle des gens qui l'entourent. Les acteurs sont épatants de justesse dans la retenue, l'orgueil et la naïveté aussi parfois si propres à ce genre de caste urbaine.
Aristocrats est également intéressant dans le propos qu'il tient : l'initiation de l'héroïne n'est pas une révolution, une tabula rasa qui ferait fi de tout ce qui vient de son milieu d'origine. Au contraire, il s'agit de trouver une forme de lucidité, sur soi-même et sur les autres. Ce n'est pas une simple rébellion contre le père, comme dirait Freud, mais c'est plutôt la construction composite d'un nouveau moi. On ne tourne pas le dos à la promesse d'une vie toute tracée. On choisit ou non d'y revenir en toute connaissance de cause, après avoir ouvert les yeux, après avoir vécu autre chose avant. La scène finale est à cet égard une belle promesse.
Et plus que tout, c'est la troublante familiarité de ce film qui surprend, cette impression de déjà-vu même si on n'a jamais vu Tokyo ou un Tokyoïte. Les langues et les lieux changent, les habitudes culinaires comme vestimentaires, les manières de se saluer, de se parler ou de se taire. Mais pourtant, quoi de plus répandu dans tous les pays du monde que ces élites qui sont à la fois représentatives de leur culture sans l'être complètement, qui vivent dans un monde si lointain, si coupé des autres milieux sociaux. Quoi de plus universellement partagé par toutes les civilisations humaines qu'une aristocratie à la dérive qui veut se libérer de son éternelle loi sociale et qui pourtant n'arrive jamais complètement à renoncer à elle-même ?