Arizona Dream d'Emir Kusturica est un film inclassable, singulier, bizarre, sans queue ni tête et pourtant, si troublant, si touchant. Il présente tout simplement la vision de l'Amérique de ce réalisateur yougoslave, ou plutôt, l'idée qu'il peut se faire du rêve américain. Pays qui, selon sa déclaration d'indépendance, déclare la recherche du bonheur comme droit naturel.
L'histoire est simple, Axel (Johnny Depp, totalement investi), jeune homme un peu paumé, qui vit dans ses rêves, doit rejoindre son oncle Léo (succulent Jerry Lewis), pour être son témoin lors de son mariage avec une jeune fille de l'Europe de l'est. Mais cet oncle Léo a des plans pour Alex. Il veut que ce dernier le rejoigne dans sa concession automobile afin de vendre de Cadillac. Mais Axel aspire à autre chose pour sa vie.
Le rêve
C'est un film où on ne distingue plus le rêve de la réalité arrivé à un certain moment. Un début dans une tempête de neige chez les inuits, des poissons volants, des Cadillac empilées jusqu'à la lune, un acteur raté qui vit dans des films. Des avions artisanaux... Kusturica prend l'essence du rêve, la malaxe et invente un peu, la notion de rêve partagé, comme on pourra le voir par la suite dans Inception de Nolan. Le rêve est quelque chose de très personnel, l'expression du subconscient. Parfois, il est réaliste, d'autres fois, il est totalement loufoque. Le grand point fort du film, est de mélanger les rêves des différents protagonistes et d'en faire des scènes très poétiques. Ainsi, lorsqu'Alex rencontre Helaine (Magnifique Faye Dunaway) et sa fille Grace (désarmante Lili Taylor), il se met immédiatement dans la roue de leurs rêves, et sort totalement de la réalité (tous les plans pour concevoir des avions) . Mais si Alex est si enclin à rêver, c'est parce qu'il est orphelin, et que justement, la source de toute la fantaisie dans sa vie, c'est cet oncle Leo qui veut le faire venir. Le rêve étant alors une échappatoire à ce qui est triste dans l'existence.
La mort
La mort est omniprésente. Car même si on est dans le domaine du rêve, impossible d'échapper à la fatalité quand on se réveille. Et puis, la mélancolie qui habite Grace, son envie répétée de se suicider, plane sur le film. Lors de trois scènes clés, la mort rôde, avec une musique de Goran Bregovic très explicite, intitulée tout simplement Death. La tension de ces scènes est très grande, et elles sont filmées avec une précision remarquable. L'émotion qui en sort est très intense, même si on est dans une totale abstraction par rapport à une narration traditionnelle.
L'abstraction
Au début du film, on discerne encore la réalité et le rêve avant de plonger la tête la première dans un monde totalement détaché de toute sorte de cohérence ou de réalité. La seule chose qui compte alors, ce sont les émotions des personnages.
La musique
Grand point fort du film. Elle a sans doute contribué au statut culte de ce film. Les chansons inoubliables d'Iggy Pop, les compositions de Bregovic, donnent une force poétique à ce long métrage. Elle permet également à certaines scènes de prendre une toute autre dimension. Et puis, la musique anime de nombreuses scènes, ici un accordéon joué par un personnage, là un orchestre de mariachis !
Le Casting
Les acteurs sont tous investis à fond. Ils se lâchent et n'ont pas peur du ridicule, et cela permet d'adhérer à ce film qui n'est pas forcément facile. Mention spéciale à Lili Taylor qui joue le personnage de Grace, qui touchera profondément chaque spectateur de ce film.
La réalisation
Kusturica sait filmer, créer la tension par sa mise en scène, avec des plans ciselés, un montage efficace. Sa façon de filmer les paysages est aussi très poétique, la photo est vraiment sublime et permet une vraie immersion dans le monde du rêve. Ainsi, même les scènes en intérieur conservent un caractère un peu bizarre qui fait constamment se questionner le spectateur.
Conclusion
Arizona Dream est une bombe émotionnelle, onirique. Source d'évasion et de réflexion. Histoire d'amour tragique, film fantastique, bizarre, troublant. Il est possible de ne pas y adhérer mais il ne peut absolument pas laisser indifférent.