Après la noirceur de leur premier film, Blood Simple, les frères Coen explorent la comédie la plus rutilante, un grand écart en forme de programme pour la filmographie à venir, qui jouera de plusieurs registres et privilégiera très souvent le comique.


De multiples procédés chers à leur esthétique sont ici mise en place : le recours à la voix off, une façon traditionnelle d’assumer la dimension romanesque (voire de la fable) de leur récit, et sa facticité affichée ; la stupidité des personnages, un thème qui fait l’objet d’une véritable obsession chez eux, et enfin un formalisme hyperbolique, poussé ici à l’extrême.


Tout est en effet placé sous le signe de l’excès, et c’est de loin le film le plus cartoonesque des frangins. Il fallait un cabotin au diapason, ce qui semble imposer le choix d’un comédien comme Nicolas Cage. Les trognes sont caricaturales, les situations improbables, et le tout mené à un rythme que ne renierait pas Tex Avery.


On s’amuse ainsi beaucoup, mais pas toujours du bon côté de la caméra : on peut trouver assez fatigantes certaines séquences, notamment dans ce recours répété à la caméra subjective, dans des poursuites au ras du bitume, allant jusqu’à prendre le point de vue d’un chien… Le film est potache, bruyant, et si quelques images en sont mémorables (comme l’apparition fantastique de John Goodman qui sort de terre), on les appréciera plus sous forme d’extraits que dans la longueur.


Encore jeune, le tandem est aussi outrancier dans ses références : du Mad Max avec le personnage du chasseur de prime (une fois, passe encore, mais ce retour régulier à sa traversée sauvage épuise lui aussi), et du Leone pour ce formalisme en osmose avec une musique clinquante : on sent le désir de séduire sans qu’ils aient pour le moment trouvé leur tonalité propre.
On ne peut cependant nier le talent en présence : de l’interprétation, tout d’abord, avec un travail imparable sur les accents, au travail visuel précis jusque dans les coiffures les plus outrancières, le conte loufoque est assumé jusqu’au bout. Au vu de la filmographie à venir de la fratrie, on est dès lors plus tolérant sur l’immaturité généralisée de toute cette entreprise : lorsqu’ils parviendront à tremper davantage leurs personnages, lorsqu’ils sauront ralentir le tempo pour épaissir la sauce, ils auront trouvé la recette de leur cinéma. Il est ici en gestation, et dans une perspective historique, elle a le mérite de délivrer quelques clés sur le processus de maturation de leur œuvre.


(6.5/10)

Sergent_Pepper

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