L'adoption
En 1984, le jeune trentenaire Joel Coen et son petit frère Ethan réalisent leur premier long-métrage, Sang pour sang. Un polar noir qui rencontrera un beau succès, notamment dans les festivals de...
le 24 mai 2020
39 j'aime
5
Arizona Junior constitue la preuve éclatante que les problèmes capillaires de Nicolas Cage ne datent pas d’aujourd’hui. Arizona Junior constitue la preuve éclatante que le talent des frères Coen ne date pas non plus d’aujourd’hui. Deuxième film des terribles frangins de l’Amérique, il marque déjà leur tendance au sadisme, qui consiste à insister sur les douleurs des laissés pour compte de l’American Dream. Ces Américains oubliés de la Sun Belt, parqués dans des mobile-homes par un système qui a oublié de leur donner leur part du gâteau. On leur fait souvent l’injuste procès de se moquer de ces ploucs, d’être condescendants avec ceux qui représentent le côté sombre de l’oncle Sam, ceux qui se débattent pour survivre, quelle injustice !
Mais comment ne pas voir dans Arizona Junior cette immense affection qu’ils ont pour H.I. et Edwina, ce couple perdu en plein désert ? Comment ne pas comprendre qu’en les exhibant ainsi, c’est aux nantis de l’American Way Of Life qu’ils s’adressent, qu’ils montrent du doigt en les sommant de s’expliquer sur la pauvreté érigée en dommage collatéral, au profit du plus petit nombre ? Dans ce film, H.I. tente pourtant de passer les obstacles, de faire amende honorable en mettant de côté sa vie de petite frappe, en épousant une femme policière. Sauf que le destin a décidé qu’ils ne pourraient pas procréer et ça, H.I. et Edwina ne peuvent l’admettre et se servent en bébés là où il y en a trop.
Comme cela sera toujours le cas dans la suite de leur filmographie, les frères Coen usent de l’humour comme arme de destruction massive, suscitant un rire sincère, mais toujours gêné aux entournures. Ils ont cet humour noir qui ridiculise plus d’une fois leurs personnages, mais toujours dans le but de grossir le trait jusqu’à la caricature et la caricature, on en connait aujourd’hui le pouvoir dévastateur. Qu’il s’agisse de la manière « correc’» de s’exprimer d’Edwina ou de la pitoyable façon dont H.I. braque une banque, rappelant furieusement Pierre Richard dans Les Fugitifs, on ne sort pas de cet humour, qui ne s’encombre pas de dentelle ou de doigté et frappe directement à l’estomac. En particulier lors de cette scène finale, durant laquelle les deux frères retrouvent un semblant de sentiment, parvenant à nouer l’estomac devant ce qui apparait comme une injustice, quand bien même elle serait à l’égard de deux kidnappeurs.
Deux kidnappeurs incarnés, le mot est approprié, d’un côté par un excellent Nicolas Cage, qui joue le type complètement paumé avec un naturel qui frise la vocation inavoué. Regard bovin, moustache tombante de chien battu, on hésite sans cesse entre l’envie de lui botter les fesses pour le réveiller et celle de lui apporter un quelconque réconfort, s’il n’y avait cette coiffure improbable. D’un autre côté Holly Hunter qui, six ans plus tard, donnera une légendaire Leçon De Piano. De cette actrice aux apparences si frêles, ressort une force de caractère peu commune, un regard en acier trempé qui donne à son personnage une intensité dramatique peu commune. Et tout autour, se forme peu à peu la bande des frères Coen, leurs acteurs à eux : John Goodman (auteur d’une exceptionnelle sortie de boue) et Frances McDormand.
Une troupe qui prend place dans ce qui ressemble déjà à un décor de western, bien avant True Grit. Paysages désertiques, malfrats en tous genres, cowboy solitaire sous forme d’ange de la Mort, mis au service d’une mise en scène faite de nervosité, tout en étant capable de disséquer les travers de personnages à la marge. Sans être encore au sommet de leur maitrise, les frères Coen savent déjà exactement ce qu’ils veulent pour leur cinéma : frapper par le rire et faire preuve du étonnante maturité, malgré la jeunesse de leur œuvre.
Pas surprenant alors qu’ils aient connu un succès critique aussi précoce, aussi bien auprès des professionnels que des cinéphiles. On sent dans Arizona Junior la volonté de deux frères qui ont déjà trouvé leur identité de réalisateurs, qui ont manifestement un projet en tête, probablement celui, en bons pasteurs et cinéastes, d’ouvrir leur confessionnal aux brebis égarés d’une Amérique qu’ils jugent arrogante, afin qu’elle y confesse ses péchés. À en juger par la suite de leur cinématographie, il faut croire que cette Amérique là ne s’est pas encore repentie.
http://www.cineseries-mag.fr/retro-coen-arizona-junior-critique-du-film/
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Coen Brothers: ton film préféré [liste participative] et Films Vus En 2015
Créée
le 28 avr. 2015
Critique lue 1.4K fois
21 j'aime
2 commentaires
D'autres avis sur Arizona Junior
En 1984, le jeune trentenaire Joel Coen et son petit frère Ethan réalisent leur premier long-métrage, Sang pour sang. Un polar noir qui rencontrera un beau succès, notamment dans les festivals de...
le 24 mai 2020
39 j'aime
5
Second long-métrage des frangins Coen après le réussi Sang pour Sang, Arizona Junior nous emmène dans une folle aventure, où entreront en jeu kidnapping, bandits ou encore loufoquerie, le tout sous...
le 11 juin 2018
29 j'aime
4
Si un peu tout le monde connaît The Big Lebowski, excellente comédie déjantée des frères Coen, ce film paraît presque sage quand on regarde Arizona Junior, le deuxième méfait du duo : une comédie...
le 18 oct. 2013
29 j'aime
2
Du même critique
Voici une œuvre miraculeuse, d’une justesse dans les sentiments et les émotions adolescentes qui m’a ramené vingt-cinq ans en arrière. A cette époque, se trouver une identité revenait à les essayer...
Par
le 5 janv. 2014
155 j'aime
26
The Truman Show, un film touché par la grâce, de son réalisateur Peter Weir d'abord, qui a rarement été autant au sommet de son talent depuis, de Jim Carrey ensuite, qui a fait taire avec ce film,...
Par
le 10 déc. 2013
155 j'aime
17
True Detective est un générique, probablement le plus stupéfiant qu’il m’a été donné d’admirer. Stupéfiant par les images qu’il égraine patiemment, images d’une beauté graphique rare, images sombres...
Par
le 12 mars 2014
153 j'aime
15