Un bon buddy movie repose avant tout sur la qualité de son duo de tête, des acteurs certes mais aussi des personnages qu’ils doivent camper. Avec Arnaque à la Carte, Melissa McCarthy et Jason Bateman trouvent une alchimie rare qui détermine en partie la réussite du long métrage, assez classique dans sa forme, mais au comique savoureux et volontiers grossier. Faire rire demande un sens du rythme, et Seth Gordon s’en sort plutôt bien ici, l’ennui étant banni de l’écran alors même que le film dure deux heures : ce ne sont pas des gags qui s’empilent et s’enchaînent mais les étapes d’une cavale improbable et jubilatoire, étapes ponctuées par moult quiproquos, punchlines et coups de poing.


Notons également que l’ensemble dispose d’une profondeur certaine, en dépit des apparences : il s’agit bien d’incarner cette angoisse de l’usurpation et de la fraude au sein d’une société où la réussite individuelle est synonyme d’efforts et de sacrifices. Le personnage interprété par Bateman est intéressant en ce sens où il représente un certain type de statut professionnel à la fois peu épanouissant et précaire – son chef menace d’ailleurs de supprimer son poste – mais nécessaire pour subvenir aux besoins de sa famille. Face à lui, une voleuse sans foi ni loi, sans attaches véritables sinon les collections d’articles piqués à droite à gauche et entassés dans sa maison. Elle est seule au monde, il est père de famille et employé dans une société fondée par l’un de ses amis. Solitude d’une part, appartenance au groupe et à la communauté d’autre part. Leur rencontre, sous la forme d’un road trip détonnant, équivaut donc à un choc des modèles culturels : deux visages de la réussite américaine s’affrontent dans cette arène qu’est la voiture, que sont la chambre d’hôtel ou le restaurant.


Avec comme propos de fond une réflexion, certes primaire, sur la détresse affective qui gouverne Diana et la pousse à s’entourer d’objets et de soins pour mieux noyer son chagrin, de la même manière qu’un alcoolique le ferait avec de l’alcool. Le film nous dit quelque chose des dérives d’une certaine société de consommation, où l’entassement frénétique des biens a remplacé la valeur de gagner les choses jugées utiles ou agréables ; de criminelle, Diana évolue en victime d’une société qui incite à la réussite individuelle sans tenir compte de l’épanouissement et du bonheur de chacun. En ce sens, Arnaque à la Carte mute en œuvre de conversion au terme de laquelle la voleuse se repent et, ce faisant, réussit à intégrer une famille de substitution. Deux acteurs formidables pour une comédie alerte et plus intelligente qu’il n’y paraît.

Fêtons_le_cinéma
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le 14 mai 2020

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