Les Salauds dorment en paix
Giorgio Pellegrini est un ancien activiste d'extrême gauche réfugié en Amérique centrale suite à un attentat dramatique. Lassé par l'exil il rentre en Italie pour purger sa peine et s'offrir une nouvelle vie. Évidemment on ne passe pas facilement d'une vie de cavale dans la jungle à une existence rangée et au dessus de tout soupçon, Giorgio s'en rendra compte dès son arrivée sur le sol Italien.
Avoir une seconde chance, quoi de plus naturel que de vouloir se racheter pour tenter de réparer ses erreurs ? On a bien envie de compatir avec ce brave Giorgio qui se retrouve piégé par un commissaire de police véreux (Michele Placido, excellent) et obligé de renouer avec ses anciens contacts car personne d'autre ne lui offre de travail.
Le commissaire Anedda est un personnage tellement détestable qu'il pousse naturellement à apprécier Giorgio, bien plus humain.
On a bien envie de compatir pour Giorgio mais il faut quand même se rendre à l'évidence : il n'est pas vraiment un modèle de sainteté. Il commence par tuer son ami pour s'acquitter de sa dette auprès des guérilleros (une scène très belle d'ailleurs) mais peut-être qu'ils n'étaient pas vraiment amis ? Et puis il n'avait sûrement pas le choix... sauf qu'après il recommence en diminuant la dette d'un joueur contre le droit de baiser sa femme, puis il pique de l'argent dans la caisse de la boite de nuit dont il est le gérant, puis il se met à frapper les danseuses un peu trop curieuses...
Giorgio est, en fait, un parfait salopard. Un anti-héros total volontiers violent et égoïste. S'il apparait régulièrement comme sympathique ce n'est qu'une façade, sa quête de rédemption s'épanouit dans un système à son image : pourri jusqu'à l'os.
Le film disperse quelques bulles d'innocences qui sont irrémédiablement pervertis d'une façon ou d'une autre. Il y a par exemple Flora que Giorgio semble aimer réellement mais ne peut l'exprimer autrement que par la contrainte. Et puis il y a surtout Roberta, ingénue naïve et entière que Giorgio manipule pour s'offrir un statut social. Un personnage faible mais touchant pris dans un engrenage dont elle n'imagine pas les enjeux.
De l'héritage des années de plombs aux institutions corrompues, le réalisateur Michele Soavi (réalisateur de l'intriguant Dellamorte Dellamore) nous balade dans une Italie décadente et crapuleuse. Avec une mise en scène stylisée il brode un monde glauque et intimement violent (le film s'ouvre par une caméra subjective d'un cadavre qui dévisage Giorgio). La lumière particulièrement soignée donne des allures baroques, très eighties par moment, aux différentes séquences.
L'ambiance est complétée par une bande son parfaitement choisie et dominée par la chanson "Insieme a te non ci sto più" dont le refrain donne au film son titre. Un morceau mélancolique et volontairement kistch qui accompagne Giorgio tout du long. Les paroles, a priori mièvres, prennent différentes significations selon le contexte dans lequel la chanson est utilisée.
Le destin a voulu que ce film soit passé complètement inaperçu lors de sa sortie en France, en août 2006. Bien sûr les blockbusters estivaux et la faible distribution en salle n'a pas aidé mais il y avait aussi la concurrence plus "directe" du Romanzo Criminale de Michele Placido (le même qui joue le commissaire Anedda). Il faut croire que la presse ne pouvait s'enthousiasmer que pour un seul polar italien à la fois cette année là, dommage.
Dommage car Arrivederci amore, ciao est un joyau noir à l'état brut, le portrait d'une raclure totale capable d'accomplir les pires choses par simple nécessité. On dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions, ici on a une sorte de miroir inversé où le paradis (la rédemption) est pavé des pires intentions. Cynique et tortueux le film nous malmène chaque instant plus fort que le précédent, jusqu'à un final inoubliable et glaçant. Une séquence à qui résume parfaitement le film : d'une maitrise esthétique absolue (le montage est, par exemple, juste parfait) et d'une noirceur totale.
Un film à découvrir, donc.