Le problème que j'ai avec Arsenic et vieilles dentelles de Frank Capra, c'est que le film est tiraillé entre deux types de comédies, la comédie noire et la comédie loufoque ... et lorsqu'on est assis entre deux chaises, on est mal assis. Frank Capra est certes très talentueux, mais ici il cède à ses pires instincts. Il veut tout faire à la fois, une comédie noire et une comédie loufoque et finalement il ne fait bien ni l'une ni l'autre. Il surjoue le comique de situation, il surjoue les réactions, il surjoue le conflit ... chaque séquence est plus forte et provoque plus de maux de tête que la précédente. Le problème est exacerbé par le fait que le scénario (et la pièce originale) manque d'enjeux, de subtilités et de surprises.
Les actrices Josephine Hull et Jean Adair reprennent leurs rôles dans la pièce originale, celles de deux gentilles vieilles tantes qui empoisonnent des vieillards pour les sortir de leur misère. Cary Grant joue le gentil neveu des deux tantes, un gars bien sous tous rapports qui essaie de les arrêter, tandis que Raymond Massey joue l'autre neveu, le méchant neveu, un meurtrier qui vient de s’échapper de prison avec Peter Lorre (le docteur Einstein).
Frank Capra encouragea les acteurs, en particulier Cary Grant, à surjouer les situations ... pour le meilleur et surtout pour le pire. Cary Grant lui-même trouva qu'il était allé trop loin dans son jeu et je ne pourrais pas être plus d'accord avec lui. Parfois, ses sauts frénétiques et ses expressions faciales sont drôles, comme lorsqu’il dit à ses tantes dès le début du film, tout en se penchant et en gesticulant, qu’elles ne devraient pas empoisonner les gens, parce que ce n'est pas bien : "This is developing into a very bad habit ! I don't know if I can explain it to you. It's not only against the law, it's wrong !".
Arsenic et vieilles dentelles est un film très bavard et parfois même très bruyant. Je pense notamment au frère qui se prend pour Teddy Roosevelt et hurlant à chaque occasion "Charge !", alors qu’il monte les escaliers et claque la porte de sa chambre à plusieurs reprises. Les personnages passent d'une pièce à une autre dans une confusion totale, veulent cacher des corps, se menacent les uns les autres, essayent d’interner les autres dans des institutions psychiatriques ... ça gesticule de partout et ça ne s'arrête jamais !
Au début, j’ai pensé que Frank Capra avait peut-être trouvé le bon équilibre entre la comédie noire et la comédie loufoque. Raymond Massey et Peter Lorre sont assez sinistres dans leurs rôles d'antagonistes, tandis que Cary Grant et les deux gentilles vieilles tantes développent tout de suite une jolie dynamique comique. Cependant, le film se traine en longueurs et est beaucoup trop long (presque 2h00). Certains peuvent aimer la frénésie folle que Capra a mis en place à partir de la pièce originale, mais alors qu'est-ce que c'est bavard, qu'est-ce que ça hurle ... c'est très vite épuisant.
Aprés tout, nous sommes dans une comédie loufoque (aka screwball comedy) me direz-vous et je dois dire qu’il y a quelques jolis moments, mais dans l’ensemble le film en fait vraiment trop, c'est du "too much" de partout. Dans les jolis moments, j’avoue avoir beaucoup aimé l'hommage/citation à Boris Karloff (l'incarnation de Frankenstein au cinéma) qui jouait le méchant dans la pièce originale et qui aurait dû reprendre son rôle pour le film (mais n’était pas disponible). Même sans connaitre les détails de cette histoire de production, cette façon assez subtile de briser le quatrième mur est très drôle. C'est malheureusement aussi, presque la seule chose que je retienne du film.
Arsenic et vieilles dentelles est une comédie très agréable dans sa première moitié de film, mais qui m'épuise très vite dans la seconde moitié. Cary Grant surjoue ses expressions faciales, encore plus que d'habitude ici. Alors ce n'est que mon avis (encore que Cary Grant lui-même le dis), mais le film aurait gagné à en faire un poil moins. Cette comédie loufoque est encore plus stridente que toutes les autres screwballs comedies que j'ai vu et je ne la recommanderais qu'aux amateurs du genre.