Une découverte tardive, mais quelle découverte !
Article 15 prend la forme d'une enquête policière sur la disparition de 3 adolescentes indiennes issues d'un petit village.
Ce point de départ à priori banal va servir à pointer du doigt les terribles discriminations encore pratiquées dans une société déchirée par sa séparation en castes. Mais ce n'est pas tout, l'oeuvre d'Anubhav Sinha et Gaurav Solanki s'attaque aussi à la récupération politique d'un triste fait divers, aux autorités corrompues et à ses représentants bedonnants s'accrochant à leur confort ainsi qu'aux larbins prêts à tout pour protéger les secrets et crimes de quelques petits chefs et préserver leurs places au pouvoir.
L'article 15 auquel il est ici fait référence est celui de la constitution indienne interdisant toute forme de ségrégation basée sur la race, la religion, le sexe, le genre, ou le lieu de naissance. Le film lâche ainsi un énorme coup de projecteur sur le fossé séparant la loi et son application concrète.
Le fond indiscutablement social de l'oeuvre est servi par une réalisation remarquable qui a de quoi faire taire les idées reçues sur les films indiens. Point de surcharges nawak, de chansons ou de chorégraphies arrivant comme un cheveu dans la soupe ici. Le film cultive son ambiance sombre et pessimiste. Article 15 touche aussi bien au polar, avec tout ce que ça exige de sobriété et de noirceur qu'à la satire sociale. Ce dernier aspect se ressent tout particulièrement lors des scènes confrontant l'incompréhension entre les agents locaux et le personnage du flic citadin, ce dernier se sentant complètement largué devant l'absurdité de cette culture de castes.
Les images de la brousse indienne ne cherchent jamais l'originalité mais font péter les compteurs en terme d'efficacité. S'il m'est difficile de retenir beaucoup de plans iconiques (quoi qu'il y a bien celui du nettoyage des égouts) je n'ai par contre pas pu m'empêcher de trouver ça beau, presque à chaque minute tant le film regorge de prises de vues soulignant les tristes réalités de l'Inde rurale.
Article 15 offre aussi à plus d'une reprise de grands moments de tension. Les scenes d'interrogatoires sont puissantes, qu'elles aient lieu formellement au poste ou à l'arrache, au bord d'une route. Je retiens, en particulier, celle ayant lieu en parallele d'un appel téléphonique très insistant, d'une nervosité assez impressionnante.
Enfin, comment ne pas saluer la performance des acteurs, faisant tous preuve d'une justesse qui force le respect. Paysans, domestiques, policiers, agents administratifs, médecins, criminels ... pas une expression de trop, on y croit à chaque instant, notamment lorsqu'il s'agit de dépeindre la terreur sincère des castes mises au ban de la société face aux menaces de représailles. Ayushmann Khurrana (apparemment une superstar bollywoodienne, que je découvre avec ce film), le personnage principal, déborde d'élégance dans son role de commissaire vertueux sans compromis.
Le film n'est pas exempt de défauts bien sûr, la vaste galerie de personnages n'étant pas facile à retenir, d'autant qu'il est souvent fait référence aux spécificités culturelles des différentes castes. Mais plus qu'une faiblesse, disons qu'il s'agit d'exigences nécessaires pour apprecier l'oeuvre à sa juste valeur.
Je regrette vraiment de ne l'avoir découvert que maintenant, il aurait largement mérité sa place au top 3 de 2019. Je recommande chaudement à tout amateur du genre.