As Tears Go By
6.9
As Tears Go By

Film de Wong Kar-Wai (1988)

Le verre manquant et le besoin de s'élever.

[Pour agrémenter la lecture]


« Plutôt être un héros 3 minutes que Fly toute une vie. »


旺角卡門 littéralement Carmen de Mongkok, traduit n'importe comment par As Tears Go By en anglais, est un film à la croisée des chemins. Bien sûr les amateurs de Martin Scorsese comprennent bien vite qu'il s'agit évidemment d'un remake de Mean Streets. D'une manière générale ce film est très influencé par le début de la carrière de Martin Scorsese et par le Nouvel Hollywood (en voyant le plan final d'As Tears Go By, impossible de ne pas penser à une certaine image ayant marqué la guerre du Vietnam et les réalisateurs Américains de l'époque). Cependant c'est le genre de remake riche de sa relecture des thématiques de l'original à l'aune d'un contexte bien particulier et par le prisme d'un auteur à la personnalité marquée.


Sans trop rentrer dans l'analyse comparée des deux films (en soi je pense qu'il y aurait aussi des choses très intéressantes à dire, mais dans cette bafouille j'ai envie de me concentrer sur le film Hongkongais), le premier long-métrage de 王家卫 (Wong Kar-Wai) reprends les thématiques sociales qui irriguaient Mean Streets dans son approche des rapports sociaux au sein de la mafia Italienne dans le New York des années 1970, pour parler dans As Tears Go By du Hong-Kong des années 1980 et des rapports sociaux entre les petites frappes des bas-fonds de la citadelle de Kowloon. Par conséquent dans ce qui est probablement le film de Wong Kar-Wai au discours social le plus fort, de manière très pertinente les influences du Nouvel Hollywood et de Martin Scorsese vont se télescoper avec celles de la Nouvelle Vague Hongkongaise (En effet difficile au visionnage de ne pas penser à des films comme 省港旗兵 Le Bras Armé de la Loi de 麥當雄 Johnny Mak).
En effet on retrouve parfois dans ce film le style de mise en scène documentaire de cette Nouvelle Vague, cherchant à capter une réalité de l'époque, brutale et désespérée mais profondément touchante, celles des parias de la ville, et le plus souvent des jeunes des bas-fonds de cette ville. Ainsi les bas-fonds de Kowloon y sont sales, la misère et la violence guettent à chaque coin de rue et leurs habitants, en opposition à une vie à la campagne Chinoise, sont prêt à tout pour s'en sortir et ne plus être regardé de haut dans le port parfumé, obsédés qu'ils sont par cette peur de perdre la face.


« Ne les laisses pas te regarder de haut. »


Cette combinaison d'influences forme un très fort cocktail de violence explosant à l'écran, sans que celle-ci ne soit exposée de manière agréable ou jouissive. Ces spirales de surenchères conflictuelles des bas-fonds sont minables, pathétiques et auto-destructrices pour leurs personnages. Rien de cool en somme. Toutefois pour Wong Kar-Wai cela porte un aspect profondément tragique qu'il va vouloir aussi faire transpirer à l'écran.


« Ne bouge pas c'est l'endroit le plus sensible. Je ne sais pas où elle partira si tu bouge.
Tu es chanceux cette fois, le sera-tu la prochaine ? »


Au deuxième visionnage je me rends pleinement compte et cela me frappe, à quel point c'est un film très resserré et dense. Les 98 minutes passent très -peut-être même trop- vite évitant le trop plein de gras ou de lourdeurs. Justement cette sensation de quelque chose qui est passé et s'est consumé trop vite fait ressortir le caractère tragique de l'histoire dans laquelle sont emportés les personnages de ce film.
De plus je dois avouer j'ai beau adorer les différents cinémas Chinois, je suis loin d'être un inconditionnel de Wong Kar-Wai qui parfois dans sa carrière a tendance à se perdre dans des choses assez lisses, fades et/ou trop propres. Cependant ce film souvent un peu délaissé (à l'heure où j'écris cette bafouille sur ce fameux Carmen de Mongkok, il n'a pas 750 notes sur Sens Critique, c'est aussi cela qui me motive à écrire), fait parti pour moi des meilleurs Wong Kar-Wai que j'ai pu voir. Ici justement cette urgence donne un côté très brut de décoffrage et renforce le côté agressif de sa mise en scène. C'est certes moins vendeur et tout public que bien d'autres de ses films, et parfois c'est un peu maladroit, mais cela donne des expérimentations à foison sur les cadres et le montage de l'action qui défile à grande vitesse. Tout cela donnant une énergie et un sens du tragique d'une force qu'il ne réussira à égaler que peu d'autres fois dans sa carrière.


Cette mise en scène sublime d'ailleurs les rapports entre les personnages. 張曼玉 Maggie Cheung est par exemple beaucoup moins présente dans le film que dans le souvenir que j'ai de celui-ci. Cela pour une raison simple, chacune de ses apparitions sont travaillées comme des pivots du film mais aussi de sa relation aussi belle que tragique avec 劉德華 Andy Lau. Elle irradie le film (certes avant tout parce que je suis amoureux d'elle mais pas que). En effet elle est comme un bol d'air frais et d'innocence sortant Andy Lau de la violence et de la misère dans laquelle il est plongé. Elle est sa lueur d'espoir d'une vie différente. Tout ceci étant appuyé par le fait que chacune des apparitions de Maggie Cheung sont des sommets pour Wong Kar-Wai en terme de construction de mise en scène aussi romantique que tragique. Il utilise pour cela intelligemment la géographie de Hong-Kong, car pour retrouver Maggie Cheung, Andy Lau sors de la citadelle étouffante Kowloon pour aller sur l'île plus paisible Lantau le temps d'un répit.
Pour cette relation, mais aussi et surtout pour ce lien si particulier, si tragique, entre Andy Lau et 張學友 Jacky Cheung, Wong Kar-Wai semble s'inspirer du romantisme du Heroic Bloodshed et cela bouffe l'écran. Ils sont de pur produits de ces bas-fonds crapuleux de Hong-Kong. Toutefois ce sens du romanesque hors du commun, presque irréaliste à Kowloon, ce truc qui les unit et mène également Andy Lau à cette relation si pure avec Maggie Cheung, est ce qui les rends profondément unique et si attachant par rapport aux nombreuses autres crapules désespérées du même milieu cherchant à exister.


Ainsi au carrefour de tant d'influences utilisées avec pertinence pour ce portrait si touchant de paumés du Hong-Kong de son époque, Wong Kar-Wai réalise son premier long métrage. C'est un sommet parfois injustement négligé de sa filmographie, qui mérite pourtant amplement le détour.


« Peux tu prendre des vacances avec de telles activités ? »

Noe_G

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8

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