Alors qu’elle vient tout juste de commencer, l’année 2019 nous offre avec délicatesse, Asako de Ryusuke Hamaguchi. Une œuvre, touchante et fine sur le poids du premier amour et sur la définition même d’aimer quelqu’un à travers le temps.
Cette mise à nu des sentiments joue sur les notes de sobriété orchestrées par la mise en scène du cinéaste. Un peu à l’image d’Asako, taiseuse, légère mais déterminée, le film puise dans la beauté lancinante de ses cadres pour voir éclore quelques moments d’étincelle: cette première rencontre romantique avec Baku, ce départ inopportun et déclencheur de tout un bouleversement ou cette course incessante sous la pluie pour rattraper le temps perdu et l’être aimé. Ce portrait de femme est sensible, affiche avec bienveillance les ambiguïtés d’une même personne, ses contradictions les plus inconnues, mais s’avère être une porte d’entrée pour le réalisateur pour mieux disséquer une société japonaise, qui derrière son accomplissement par l’acharnement au travail et la compétition, est aussi une société qui tente de cicatriser ses plaies par la solidarité et la douceur de vivre dans un environnement paisible.
Quand bien même la romance s’avère un peu abrupte dans son approche narrative, ce trio amoureux, qui n’en est pas un au final, n’est qu’un simple subterfuge pour le cinéaste, afin d’arpenter les limbes du passé et décrire le douloureux passage de flambeau entre le passé et le présent. Comment fait on pour se réécrire et surmonter le deuil du premier amour. D’un côté, il y a le passé d’Asako, le premier amour, le fantôme de Baku avec ses allures de rock star pour midinettes, devenu acteur et mannequin, qui un soir, n’est jamais revenu. Et de l’autre, le nouvel amoureux, plus traditionnel, celui qui est présent, rassurant et à l’écoute, le gentil bon père de famille, Ryohei.
Alors que la ressemblance entre les deux hommes est frappante, le réalisateur a cette bonne idée de ne pas grossir les traits de leurs personnalités, afin ne pas faire tomber son film dans les contrées du drama cheap. Dans le traitement visuel qui est fabriqué autour de cette romance, Hamaguchi utilise beaucoup le cadre, le mélange des reflets, cette idée du miroir pour voir vers l’avant de l’horizon et l’aspect fantomatique de l’indécision autour de la présence de ses personnages. Pour mieux symboliser le fuite, et séparer le réel de la volonté. Car le fil rouge du récit, l’élément qui perturbe l’avancée d’Asako dans sa vie de tous les jours est ce questionnement perpétuel entre l’oubli d’un amour qui a creusé des failles en elle-même et sa volonté de voir au-delà des ressemblances, et d’aimer à nouveau.
Dans cette quête identitaire, le film prend un rythme lancinant, éclaire les gestes du quotidien et s’immisce dans un environnement naturaliste. Asako, le film, parle de l’amour au quotidien face à celui qui est fugace, déclenche autant les rires que les larmes. Il y a une douceur de vivre qui se dégage du film, chose qui provient de cet assemblage subtil des scènes de vie quotidienne – repas entre amis ou accolade intime avec l’être aimé – et de part sa finesse, le long métrage arrive malgré tout à faire ressurgir la violence existentialiste qui émane d’Asako: ce précipice qui pourrait nous pousser à tout plaquer pour rejoindre le souvenir enchanté d’un amour éteint. Derrière le sourire de façade, il y a un volcan qui sommeille en elle et c’est à Asako de savoir si elle désire le voir naître au grand jour.
Article original sur LeMagduciné