Le début du film est tout simplement époustouflant. Un dialogue d'amoureux au téléphone, une première image en gros plan sur Jeanne Moreau (première image à laquelle répondra la dernière du film, mais ça on ne le sait pas encore) et un incroyable travelling arrière qui enfermera Maurice Ronet dans un décor urbain. Voilà déjà du talent !
Et ce n'est pas fini. La scène du meurtre est remarquable, elle aussi. Louis Malle (cinéaste pour lequel je n'ai pas vraiment une grande admiration : je n'ai apprécié que trois de ses films à ce jour) prête une attention aux moindres détails, il nous montre chaque geste de Julien, avec précision et minutie. Le silence augmente encore la tension qui se dégage du film. Un silence lourd, pesant, constamment en suspens (on ne dira jamais assez à quel point la bande son du film est exceptionnelle ; généralement, en parlant de ce film, on mentionne la splendide partition de Miles Davis, mais il faut préciser l'importance donnée à chaque son, et même à l'absence de sons). Le silence de la scène est tel que, lorsque retentit la grosse voix de Carala, elle nous apparaît tout de suite comme une agression, et nous permet de comprendre les rapports de force existant entre les deux hommes.
Alors, certes, tout n'est pas aussi génial dans le film. Je trouve que les scènes avec Louis, le petit malfrat qui vole la voiture de Julien Tavernier, plombent un peu le rythme et l'ambiance du film. Elles ont aussi leur importance, certes, mais elles sont trop longues.
A part ça, nous sommes en présence d'un film noir absolument remarquable. Oui, un film noir, c'est évident. Le rythme lent, l'insistance sur la psychologie des personnages, l'ambiance nocturne et mélancolique, les éléments du film noir sont là. Avec Jeanne Moreau en une sorte de femme fatale paradoxale, dont on ne comprend le rôle que tardivement dans le film.
En effet, on se demande longtemps pourquoi Julien assassine Simon Carala. Ce n'est qu'au deux-tiers du film, lorsque Florence est interpelée par la police, qu'elle donne son nom complet, Florence Carala, annonçant ainsi le dénouement du film. Nous sommes bel et bien en présence d'un personnage de femme fatale, mais loin d'une Rita Hayworth ou d'une Barbara Stanwick.
Le décor urbain est essentiel au film (c'est peut-être aussi pour cela que les scènes avec le couple allemand semblent un peu hors-sujet, les seules à ne pas se servir de ce décor urbain). Florence qui déambule dans la nuit parisienne et son pavé mouillé. Et Julien emprisonné dans son immeuble.
Un emprisonnement qui, on l'a dit, se retrouve dès le générique de début et se poursuit jusqu'à la fin. Julien en enfermé dans son bureau, il est enfermé sur une terrasse de café, et bien entendu il est enfermé dans l'espace exigu de l'ascenseur. C'est comme si toute la ville s'était liguée pour emprisonner le personnage, un peu comme M. de Fritz Lang.
Un décor urbain qui joue aussi sur l'inhumanité. Les alignements de machines à écrire dans le bureau de Julien, les rues vides, l'immeuble vide, la ville semble privée d'humanité, ce qui donne un petit caractère tragique au film.
La réalisation se plaît aussi à emprisonner son personnages avec des regards. Le jeu des regards est une grande réussite. Il faut voir Julien entrer dans un bar et suivi des regards de chaque client ou serveur. Une fois de plus, le cinéaste n'a pas besoin d'employer des mots pour se faire comprendre.
Ascenseur pour l'échafaud joue beaucoup sur différentes ambiances. Suspens, mélancolie, et même humour avec le personnage du substitut, interprété par Hubert Deschamp, qui fait une composition franchement drôle et inattendue.
On se retrouve donc avec un film noir qui s'amuse avec les conventions du genre, à la fois hommage aux classiques américains et ré-écriture ; qui s'amuse avec les sentiments des spectateurs, également. Un grand film.
Viendez me lire ici (si vous n'en avez pas marre de moi, bien sûr) : http://www.cineseries-mag.fr/cannes-classics-ascenseur-pour-lechafaud-un-film-de-louis-malle-critique/