Habile reconversion d'un assureur à bout de souffle

L’ouverture d’Assurance sur la mort a de quoi inquiéter. Une voix off essoufflée se lance dans un long flashback pour poser le cadre d’une intrigue qui se dessine de manière assez classique : une marâtre intéressée joue de ses longs cils charmeurs pour s’assurer les faveurs du narrateur, chasseur talentueux de trouillards à protéger, afin d’employer son tempérament flamboyant pour se débarrasser d’un époux qu’elle déteste profondément.


Mais bien vite, les premières inquiétudes s’estompent, les personnages prennent de l’ampleur et surtout Billy Wilder déroule son script, une toile parfaitement tissée qui exploite le meilleur de son potentiel manipulateur sans jouer une seule seconde sur l’effet de surprise, puisque ce dernier est écarté de l’équation dès les premières secondes. Le tour de force qui se joue alors à l’écran, à savoir cette hypnose qui découle de chaque mouvement qu’entreprend l’apprenti tueur, pour exécuter son plan sans commettre d’impair, est d’autant plus impressionnante qu’elle ne peut compter que sur l’immédiateté des situations et un côté didactique amusant qui prend des allures de petit guide du parfait meurtrier.


Pour accompagner sa mise en scène en retenue, Billy Wilder peut compter sur les noirs et blancs très denses ainsi que les jeux de lumières particulièrement joueurs de John Seitz. Ce dernier pare véritablement assurance sur la mort d’ambiances vaporeuses qui soutiennent dans l’ombre l’escalade entreprise par Fred MacMurray, homme sans histoire, vers le meurtre habilement perpétré. Au cœur du récit, l’acteur est impérial. Du monsieur tout le monde, il se métamorphose avec assurance en un tueur sans remords particulièrement calculateur. A ces côtés, en tant que figure paternelle et seul repère moral auquel peut se raccrocher le spectateur, Edward G. Robinson compose un joli rôle de mentor paternaliste. Le personnage vole même la vedette à la sensuelle Barbara Stanwyck en s’octroyant la plus belle séquence du film, à savoir sa fin, noire en diable et pourtant si émouvante.


Une belle manière de conclure ce jeu de piste truqué auquel Billy Wilder convie une audience qu’il manipule avec vice du début à la fin de sa bobine. Aucun mystère, tout n’est que perception, celle que veut bien dessiner le cinéaste au moyen d’une voix off pernicieuse qui s’impose comme la seule vérité alors qu’elle n’est que le requiem, mi-honnête, mi-roublard, d’un homme au pied du mur en quête d’une lueur de compassion apaisante dans les yeux de son père spirituel.

oso
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Un cacheton en N&B pour les intégristes de la couleur et L'ours, Homo Video, en 2015

Créée

le 22 févr. 2015

Critique lue 1K fois

35 j'aime

5 commentaires

oso

Écrit par

Critique lue 1K fois

35
5

D'autres avis sur Assurance sur la mort

Assurance sur la mort
Sergent_Pepper
8

Witness for the repercussions

S’il fallait définir l’essence du film noir, Assurance sur la mort pose dès son prologue un exemple d’anthologie : une embardée in medias res, dans la panique et la fébrilité, un aveu d’échec qui...

le 9 juin 2017

54 j'aime

6

Assurance sur la mort
Kalian
8

We're both rotten.

Un film réalisé par Billy Wilder avec Raymond Chandler qui donne un coup de main au scénario, il faut dire que ça fait sacrément envie. Et pourtant, le départ laisse sceptique. La faute au choix...

le 20 nov. 2010

50 j'aime

17

Assurance sur la mort
Kobayashhi
9

"You said it wasn't an accident, You said it wasn't suicide, check. You said it was murder... check.

Je me rends compte que je n'ai que je n'ai jamais écrit encore sur l'un des réalisateurs qui a bousculé ma cinéphile il y a plusieurs années. Pourtant j'en ai eu des occasions, j'aurais pu écrire...

le 6 janv. 2016

42 j'aime

5

Du même critique

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

83 j'aime

4

Under the Skin
oso
5

RENDEZ-MOI NATASHA !

Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...

Par

le 7 déc. 2014

74 j'aime

17

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8