Alexandre Astier et Louis Clichy, les dignes successeurs de ce secret

En 2014 après Jésus Christ, plus personne ne parvenait à faire une adaptation d’Astérix digne de ce nom. Plus personne ? Non ! Quelque part en France, deux irréductibles du cinéma français ont réussi l’exploit de nous livrer un long-métrage qui sache retranscrire à merveille le charme de la bande dessinée, l’efficacité hors pair de l’humour de René Goscinny. Entre les films certes drôles mais n’ayant rien d’un Astérix (Mission Cléopâtre) ou tout simplement loupé (les autres), en passant par un dessin animé lambda surfant sur un esprit jeuns et moderne inadapté (Astérix et les Vikings), notre célèbre petit Gaulois avait de quoi se trouver bafoué par ces diverses exploitations commerciales qui lui faisaient défaut. C’est alors qu’arriva Alexandre Astier et Louis Clichy qui, avec Le Domaine des Dieux, étaient parvenus à livrer une adaptation qui fasse honneur à l’œuvre originelle (aussi bien du point de vue visuel que de l’écriture) tout en l’amenant vers de nouveaux horizons sans en dénigrer l’essence même (les références à la pop culture, l’actualité mise en avant, la plupart des gags, l’apport de certaines séquences vis-à-vis de la BD)… Il n’y avait rien à dire, le duo avait su nous offrir l’une des meilleures adaptations d’Astérix, juste derrière l’inégalable Les Douze Travaux. Un exploit, je vous dis ! Et pour notre plus grand bonheur, le tandem se reforme pour une nouvelle aventure, qui prouve que les deux bonhommes connaissent cette fameuse recette. Qu’ils sont littéralement tombés dedans quand ils étaient petits.


Car cette fois, il n’est plus question d’adaptation. Fini les films reprenant un album tout entier (Astérix le Gaulois, Astérix et Cléopâtre, Astérix chez les Bretons, Astérix et les Indiens, Astérix et les Vikings, Le Domaine des Dieux, Mission Cléopâtre, Astérix aux Jeux Olympiques), se présentant comme un mix de plusieurs (La Surprise de César, Le Coup du Menhir, Au service de Sa Majesté) ou bien piquant à droite à gauche pour pouvoir exister scénaristiquement parlant (Astérix et Obélix contre César). Ici, Astier et Clichy osent suivre les traces des créateurs même du personnage en s’attaquant cette fois-ci à une histoire originale (Les Douze Travaux). Alors que beaucoup se cassent les dents en recopiant certains opus, notre duo a le culot de créer sa propre intrigue. Un défi de taille, véritablement casse-gueule, remporté haut la main ! À partir d’une histoire véritablement simple – Panoramix cherchant son successeur pour faire la potion magique –, Astier/Clichy nous resservent un savant mélange entre humour propre à la BD (les chamailleries entre Cétautomatix et Ordralfabétix, le côté artiste d’Assurancetourix, les maladresses d’Abraracourcix, l’armée romaine ridiculisée, les jeux de mots, les références à l’actualité…) et trouvailles gaguesques qui font leur petit effet (la recherche du successeur façon Nouvelle Star, le conseil des vieux druides digne des Grosses Têtes, le final à la Godzilla..). Le tout en se permettant, encore une fois, des références à la pop culture jamais gratuites (l’utilisation de la musique de Kaamelot, hilarante !) et même à l’œuvre d’Astérix dans son ensemble (Aplusbégalix issu du Combat des Chefs et son passé avec nos héros, des images d’Astérix et Cléopâtre et des Douze Travaux…). Et tout cela pour quoi ? Eh bien pour faire avancer nos personnages et leur univers (alors que d’autres adaptations se contentent du minimum syndical). Ici, nous avons en la personne de Sulfurix un antagoniste d’envergure, qui peut aisément se ranger aux côtés d’Amonbofis, Détritus et Prolix. Ici, le film est le premier a donné une histoire digne de ce nom à Panoramix et à le creuser comme il se doit en termes d’écriture. En lui donnant un passé, une raison d’être, un questionnement. Bref, un travail d’adaptation de mains de maître montrant que les deux hommes connaissent la bande-dessinée sur le bout des doigts, qui ne pèche que par cette tendance à vouloir mettre Astérix et Obélix au second plan de l’intrigue (Astérix est éjecté pendant un tiers du film, c’est pour dire !


Le Secret de la Potion Magique n’est pas en reste non plus du point de vue technique, Louis Clichy usant de son savoir-faire acquis pendant ses années Pixar (rappelons qu’il était animateur sur WALL-E et Là-haut) pour livrer une aventure incroyablement rythmée et visuellement drôle. Reprenant la formule de l’animation 3D du Domaine des Dieux et la poussant encore plus loin dans le détail (les cheveux, les décors, les vêtements…), ce qui donne un film haut en couleurs, fluide et surtout agréable à regarder. Confirmant au passage ce qui se disait déjà sur le long-métrage précédent : que la 3D ne dénature en rien les travaux d’Albert Uderzo, donnant du relief aux personnages et ne trahissant jamais leurs traits si spécifiques, mémorables. Cette dernière alliée au sens du montage (qui permet ce rythme endiablé) et les compositions musicales de Philippe Rombi, qui peut désormais prétendre être le digne successeur de Gérard Calvi (Astérix le Gaulois, Astérix et Cléopâtre, Les Douze Travaux) et de Vladimir Cosma (La Surprise de César, Astérix chez les Bretons), nous obtenons là un film Astérix qui écrase sans mal les adaptations live et ses prédécesseurs… sauf encore une fois Les Douze Travaux, qui reste à mes yeux le dessin animé ultime du petit Gaulois !


Là où, personnellement, j’avais le plus peur, c’était du côté du doublage. À cause de cette surenchère de célébrités (Alex Lutz, Alexandre Astier lui-même, Elie Semoun, Florence Foresti…) et de « potes » à Astier (Guillaume Briat, Serge Papagali, François Morel, Lionnel Astier, Franck Pitiot…) ? Le Domaine des Dieux et son doublage « à l’Américaine » (voix enregistrées avant l’animation) avait su trouver son efficacité, faisant oublier les stars derrière les personnages et donnant même des résultats plus que convaincants (Foresti en Bonnemine, exceptionnelle !). Seule ombre au tableau : Briat en Obélix, sa voix n’étant pas la plus adaptée pour le personnage. Pour Le Secret de la Potion Magique, rien n’a changé ! À cause du casting cinq étoiles, délaissant les vrais doubleurs ? Du tout, et j’en remercie d’ailleurs Astier d’avoir mis en avant certains professionnels de ce milieu (Bernard Alane, Gérard Hernandez…) jusque dans la promotion du film. Il est même allé chercher des noms issus du monde théâtral, offrant de la prestance à certains personnages (Daniel Mesguich en Sulfurix, un régal !). Non, ce que je craignais, c’était le remplacement de Roger Carel dans le rôle d’Astérix. Lui, qui a toujours été et restera à jamais la voix du petit Gaulois, laisse pour la première fois sa place (car étant à la retraite et – il faut bien le dire – beaucoup trop âgé pour continuer)… à Christian Clavier ! Juste parce que ce nom de la comédie française a déjà interprété le personnage dans les deux premiers films live et qu’il est apparu dans Kaamelot ? Peu importe la raison, la crainte étant là tout de même ! Et bien je peux me retrouver rassuré après ce film, car Clavier, bien loin de la cultissime interprétation de Carel, a su prendre le relai. L’acteur est parvenu à retranscrire l’énergie, la sagesse et le côté grincheux du héros sans jamais en faire trop (tout le contraire de ce qu’il avait fait dans Astérix et Obélix contre César). Sa voix passe plutôt bien, et c’est un bon point !


Vous l’aurez remarqué : cette critique parle avant toute chose de succession. Que ce soit par le biais de l’intrigue principale avec Panoramix ou bien des gens qui ont travaillé sur ce film d’animation (Christian Clavier, Philippe Rombi…). Cela coule de source ! Avec toutes les adaptations jusque-là sorties, tout produit dérivé confondu, René Goscinny et Albert Uderzo ont trouvé en Alexandre Astier et Louis Clichy leurs successeurs. Ceux qui ont compris ce qu’ils avaient entre les mains et ont su l’exploiter comme il le fallait, sans le dénaturer ni lui faire défaut. Ils l’avaient déjà prouver avec Le Domaine des Dieux, ils le confirment de nouveau avec Le Secret de la Potion Magique. Et autant dire que le secret de cette recette est désormais bien gardée. En espérant que le duo veuille bien nous en resservir une tournée avant que quelqu’un d’autre ne prenne le relai et ne bafoue une fois de plus l’œuvre de Goscinny et d’Uderzo (un nouveau film live est annoncé pour 2020…).


Critique sur le site https://lecinedeseb.blogspot.com/2019/01/rattrapage-2018-asterix-le-secret-de-la.html

Créée

le 22 déc. 2018

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