L’entièreté d’At Eternity’s Gate repose sur la conviction hautement contestable que filmer la folie avec un style mimant la folie – style en réalité brouillon et hasardeux – donnera naissance à une œuvre digne du peintre qu’elle prétend incarner. Alors ça bouge dans tous les sens, ça fait exploser les couleurs sur-chromatisées, ça martèle la pauvre touche d’un piano. Toute l’émotion qui aurait dû naturellement découler des pérégrinations artistiques se voit sans cesse accentuée par deux instances opérant en simultanéité : d’une part la mise en scène qui se revendique néo-réaliste au point de filmer les pieds foulant les sols asséchés du Sud de la France ; d’autre part la musique qui vient grincer toutes les cinq minutes pour amplifier le mouvement créateur. Or le coup d’œil et le coup de pinceau suffisaient amplement à transporter ; le reste n’est qu’un artifice assez malvenu et terriblement arty. Parce qu’il en fait toujours trop sans savoir comment le faire, At Eternity’s Gate donne l’impression de ne pas avoir confiance dans le sujet qu’il traite et exacerbe l’art, là où le minimalisme pourtant revendiqué – être au plus près de l’artiste, partager son quotidien – aurait suffi. On nous la joue Terrence Malick quand l’artiste célèbre la nature – il manque la voix off de Cate Blanchett, ah dommage ! –, sauf que le résultat n’atteint jamais la grâce de son modèle. Et il y a cette scène avec l’institutrice et ses élèves qui viennent perturber et insulter Van Gogh, pitoyable. En découle une fresque pachydermique qui s’obstine à coller au plus près de la couleur pour espérer en saisir les propriétés et le talent de celui qui les exploite si bien. Pas de chance, nous demeurons de marbre face à ce portrait en mouvement dont le seul intérêt réside dans son acteur principal : Willem Dafoe. L’acteur est Van Gogh, respire Van Gogh ; sa performance s’avère autant bouleversante que juste, preuve (s’il en fallait encore une) que Dafoe est un immense comédien. En revanche, pourquoi l’avoir entouré d’un casting aussi prestigieux ? Le choix de Mads Mikkelsen, de Mathieu Amalric, de Niels Arestrup et de tant d’autres nuit au néo-réalisme jusque-là affiché : ils sortent le spectateur de l’immersion déjà restreinte dans laquelle il se trouvait. Quel était le besoin d’aller chercher tant de gueules de cinéma pour incarner des figures aussi marginales, présentes pour la plupart quelques minutes à l’écran ? At Eternity’s Gate est un film artificiel et faussement inspiré sur un créateur de génie. Replongeons-nous dans le Pialat qui avait su si bien peindre le peintre.