Un monde d'hommes. Énième compagnie d'un énième régiment de l'armée américaine dans une énième campagne de l'Est de la France ou de l'Ouest de l'Allemagne. Nous sommes en 1944. Un point sur la carte est entouré. C'est une ville. Elle est sur le chemin de l'armée alliée en marche vers Berlin. Il faut la capturer. Tigre, Waffen-SS, mortier... La Wehrmacht s'est assemblé en nombre et l'occupe. La section du lieutenant Costa est envoyée en reconnaissance aux abords de la ville conformément au plan établi par le lieutenant-colonel Clyde Bartlett et scrupuleusement suivi par le capitaine Cooney. L'approche est délicate car très exposée. S'il s'avérait que les allemands tenaient la ville, sa section serait laminée en moins de temps qu'il en faut pour l'écrire. Un déploiement colossal des renforts seraient alors leur seule chance de salut. Comme dit plus haut, la Wehrmacht occupe le patelin et, en toute logique, arrose la section de Costa dès qu'elle pointe le bout de sa truffe. Des dizaines de soldats qu'il avait sous ses ordres une poignée seulement survit et trouve refuge dans une habitation à l'entrée de la ville... Mais que font les renforts promis? se demande le lieutenant. Où sont donc les hommes que son capitaine lui avait promis le cas échéant? Les minutes s'égrènent et toujours aucun mouvement à l'horizon. Tout au plus ont-ils droit à un court pilonnage des lignes allemandes histoire de couvrir leur retraite. S'il s'en sort, Cooney le paiera de sa vie, il s'en fait la promesse. Quitte à risquer le peloton d’exécution. Ce lâche et cet incompétent a une fois de plus décimé un pan entier de son armée. Une fois de trop. Et dans une indifférence des plus générales. Le type en question n'a rien du militaire patriotique et zélé. En fait il n'a rien à faire dans l'armée, et encore moins dans un rôle décisionnaire. L'art de la guerre et de ses conséquences sont des problèmes insolubles dans son esprit alcoolisé. Lui n'est là que pour accrocher fièrement quelques médailles à son poitrail afin de faire valoir sa grande bravoure auprès de son gouverneur (ou congressman) de père. La considération paternelle (à défaut d'avoir son amour) vaut bien la vie de quelques hommes. Mais le lieutenant tarde et n'est toujours pas là quand les allemands, forts de leur tout récent succès, lance une contre-offensive massive sur les positions alliées. Meurtri, éreinté, hors de lui, il fait finalement son apparition au cœur du conflit avec la toujours ferme intention de se faire justice...
Vingt-et-un ans avant Peckinpah (Cross of Iron, 1977) et presque un an jour pour jour avant Kubrick (Paths of Glory, 1957), Aldrich s'emparait déjà du sujet cahoteux de l'arrivisme dans l'armée et du sacrifice humain au front sur l'hôtel des ambitions personnelles d'après guerre de ses officiers ventripotents. A ce titre, le lieutenant-colonel campé par Lee Marvin est absolument détestable. D'un cynisme froid, d'une redoutable capacité à toujours retomber sur ses pattes et à distance du fumier, il est déjà, alors que la guerre secoue encore l'Europe et le Pacifique, en campagne politique pour briguer le siège de gouverneur de je ne sais plus quel état des États-Unis (une décoration vaut tant de milliers de voix se plaît-il à penser), à grands coups de graissage de pattes et de promotions intempestives d'hommes clés et de fils à papa (dont le capitaine Cooney). Face à lui Jack Palance est impressionnant d'intégrité militaire et humaniste, de rage judiciaire et de haine vengeresse. Il faut voir son visage taillé à la serpe complètement halluciné, sa bouche grande ouverte et ses yeux exorbités pour se faire une idée du degré d'implication de l'acteur. Côté mise en scène, si Aldrich verse parfois dans le trop théâtral et le trop bavard dans les séquences de simples dialogues (malgré quelques cadrages très réussis), il se montre en revanche tout à fait léger et brillant dans les séquences d'action pures. Le noir et blanc contrasté de la pellicule et le jeu habité et suicidaire de Palance contribuent à donner au film son aura de tragédie grecque.
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