On sait le talent de Jia Zhangke, magnifique chroniqueur des mutations douloureuses de la société chinoise, mais également perpétuel chercheur de formes nouvelles : faire l'impasse sur l'un de ses films n'est pas une erreur, mais bien une faute pour tout cinéphile qui se respecte ! "Mountains may Depart" est l'une de ses oeuvres les plus ambitieuses - une multitude de thèmes sont abordés à travers la peinture de divers personnages de 1999 à 2025, de la Chine "de l'intérieur" frappée de plein fouet par le " miracle économique" à l'Australie comme paradigme de la dissolution de l'identité dans un monde artificiel ; c'est paradoxalement aussi l'une de ses plus abordables pour un public mainstream, le réalisateur n'ayant pas peur d'user ici des figures plus convenues du mélodrame, et adoptant un rythme de narration moins distendu. Le résultat n'est malheureusement pas tout-à-fait au niveau de nos attentes, en particulier parce que Zhangke se plante largement dans le troisième volet, celui "d'anticipation", où il banalise tragiquement les crises identitaires de ses personnages, sans jamais parvenir à conférer la moindre profondeur à son scénario : loin de son pays, de sa culture, on dirait que le génie de Zhangke se dilue, qu'il perd même cette habituelle lucidité (politique, humaine) qui lui permet normalement de transcender ses sujets sociaux. Heureusement, notre plaisir a déjà été immense, et, malin (?), Zhangke rattrape largement son dérapage grâce à une scène finale magique, bouleversante, qui laisse le spectateur ébahi une fois de plus par les sortilèges de ce diable d'homme (merci quand même aux Pet Shop Boys !). [Critique écrite en 2016]