Au revoir
5.8
Au revoir

Film de Mohammad Rasoulof (2011)

Le contraste entre la situation politique de L'Iran et sa créativité artistique et cinématographique peut surprendre pour qui n'a comme connaissance de ce pays que violation des droits de l'homme, lutte fratricide avec ses voisins du Proche et Moyen-Orient et passe d'arme religieuse entre ses différentes composantes étatiques. Si cette réalité est bien tangible, elle n'en demeure pourtant que la partie la plus visible de sa longue histoire traditionnelle. Sans remonter jusqu'au temps immémorial de la Perse Antique, elle s'est forgée une identité culturelle ayant inspiré des artistes de L'Ancienne Époque bien au delà de ses frontières. Et la récente reprise en main du pays par le modéré Hossan Rohani peut lui permettre de se racheter une meilleure image dans le monde et, par conséquent, un plus large espace de diffusion pour ses artistes.

Encore sous la coupe du régime strict de l'ancien président Mahmoud Ahmadinejad au moment du tournage, Mohammad Rasoulof sait se muer en porte-parole discret mais ferme d'une jeunesse en déshérence. Il fallait tout son talant pour contourner la censure et révéler la fierté et la beauté combatif de cette femme apatride. Au contraire d'un brulot revendicatif qui se voudrait représentatif de la colère de son peuple, il choisit l'élégance du minimalisme pour dire la profonde solitude de ses enfants. Ainsi ne s'érige t'il pas directement contre la soumission inévitable d'une autocratie lénifiante car son but est d'épouser les vicissitudes quotidiennes de ses compatriotes. Interrogeant la condition féminine, il suit le parcours de cette jeune avocate interdite de pratiquer pour des raisons officiellement protectrices qui n'ont d'autres mesures que de la ramener éhontément à son statut de personne inférieure intellectuellement et moralement. Et plus encore de lui signifier sa liaison interdite avec un journaliste contestataire. Une double peine qui la renvois à bien des souffrances endurées par ses alter ego, simples faire valoir dans une société encore largement patriarcale, combien même elle commence à évoluer. Le plus frappant, dans ce film, demeure sa réalisation qui épouse l'enfermement mental de son héroïne pour mieux capter son désarroi.

Plans fixes dont la durée allongée visualise l'attente, cadrage particulier se servant de la topographie des lieux pour signifier l'éloignement, caméra au plus près des corps et des visages qui scrute la fatigue.......Comme si la mise en scène demeurait la confidente intime d'une personne absente à elle même. C'est que le désir d'une libération providentielle n'est jamais aussi prégnante que lorsqu’elle est inconsciemment retenue par la peur. Peur du vide, de l'inconnu autant que de sa propre capacité à se réinventer quand elle se trouve ainsi brimée par la restriction fondamentale de liberté sont des leviers difficilement soutenables dans de telles conditions. A mesure que cette envie prend forme, s'instille une barrière . Elle demeure injustifiable et inquantifiable mais prend possession de l'anatomie sous forme de naissance désirée mais redoutée et se révèle à travers la séparation forcée de ce couple aux priorités patriotiques subitement mouvantes.

Impossible de passer sous silence les décors, qui participent grandement de cette sensation d'incompréhension. Grande bâtisse abandonnée, bureaux administratifs impersonnels, hôpitaux inhospitaliers, hôtels miteux sont quelques éléments dont se sert Rasoulof pour conduire son récit implacable. Ses personnages masculins ne sont pas en reste, entre compréhension désinvolte et surveillance rapprochée ne laissant que peu de place à l'instruction. Le symbolisme est d'autant plus fort que choisir une représentante de l'ordre judiciaire qui butte sur cette aspérité fait bien passer le message voulu. L'internement subit finit d'achever sa métaphore avec ces séquences ou l'on aperçoit régulièrement une tortue, petit animal chétif et sans défense (troublante coïncidence) noyé dans son aquarium tenter d'échapper à cette immense cage. Elle ne saurait mieux raconter le sort inquiétant des pestiférés.

La maitrise impressionnante dont fait montre ce visionnaire ne serait rien sans la force d'expression incroyablement subtile de son actrice principale. Elle est de tous les plans et réussit pourtant à maintenir un niveau de jeux inspiré sans aucune baisse de régime. Belle et singulière, elle traverse le long-métrage avec une réelle force de conviction. Il fallait ca pour maintenir l'attention du spectateur devant tant de contemplation sereine. Inutile de préciser aux ennemis de la lenteur de ne pas perdre leur temps, ils en seraient absolument frustrés du résultat et crieraient au loup que le cinéma de la réflexion est décidément un monde à part qui n'a d'autre chat à fouetter que de s'admirer le nombril. Les autres auront évidemment compris à quel point il est nécessaire de ne pas le manquer et j'en serais fort heureux s'il leur venait à l'idée d'en discuter ensuite.

Créée

le 16 févr. 2015

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