L'art de la simplicité
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le 19 août 2015
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Au revoir l'été respire les mêmes substances qu'un film de Rohmer. Un Rohmer exotique où la plage, toujours, demeure le lieu des rencontres : celles furtives, qui prennent leur temps d'exister, par les mots seuls, et rien d'autre. Et les corps encore, qui balancent leur membres nus en même temps que frétille la robe de la jeune fille face à la chaleur écrasante d'un été Japonais, semblant s'étendre comme un personnage de film. L'été, la plage, semblant se mêler aux côtes Bretonnes où Normandes, de celles que l'on peut retrouver dans Le Rayon Vert ou Conte d'été de Rohmer.
Dans Au revoir l'été comme dans Conte d'été (les titres paraissent se mêler étroitement ensemble, sortis d'une même histoire), ce sont ces êtres qui communiquent grâce à la seule parole, comme si rien d'autre n'existait à part les rencontres, à part les visages, à part les mots. Même pas ces corps qui demeurent butés face à l'existence, presque nus, comme si la tentation était là : celle de retirer les fins morceaux de tissus qui servent de maillot de bain, et de passer à l'acte, enfin.
Mais on ne passe pas à l'acte dans Au revoir l'été, comme on ne passe pas à l'acte chez Rohmer. Ce sont les mots toujours qui parlent à la place des corps, et les corps qui parlent contre leur gré à la place des mots.
Dans Au revoir l'été, les êtres ont cette même innocence que l'on retrouve chez Hong Sang-Soo, dans Hill of Freedom ou dans Sunhi (les deux seuls films que j'ai vu du réalisateur). Ces mêmes corps inertes face à la vie, qui déambulent les bras ballants, comme inexpressifs, blasés, un peu absurdes, maladroits, à côté de la plaque ou à l'ouest, pas très droits dans leur petites chaussures, pas très sûr d'eux-mêmes, et de tout ce qu'il y a autour. C'est cette candeur que l'on peut retrouver dans le cinéma Japonais, aussi mince peut-il être à mes yeux qui n'y connaissent rien.
C'est une maladresse dans les façons d'être au monde. Une innocence exaspérante parfois. Une incohérence à vivre, à dire ce qu'il faut, à marcher droit, à prononcer les bons mots. Comme ce dialogue de sourd, cette superbe scène autour d'une tablée dans Au revoir l'été : un repas d'amis, et l'alcool, comme chez Hong Sang-Soo, ne retrouve plus la porte de sortie. Les mots, par trop d'alcool, fusent alors de maladresse, d'incohérence. Le silence ici, n'a pas sa place. A la place, des personnages qui ne savent pas s'arrêter de parler : ce sont ces personnages Rohmérien en somme, ou encore Scorsesien. Les trois réalisateurs ont cette chose en commun : la faculté de ne pas s'arrêter lorsque le silence à la possibilité d'être, mais se retrouve expulsé par une masse de mots, un vacarme de palabres, qui toujours procure au spectateur une jubilation insoupçonnée, un peu comme si Jean-Pierre Léaud apparaissait soudain dans le monde d'un film, posant sa rhétorique comme on pose délicatement ces pas sur le sable humide, où l'été Japonais se fait dense, chaud, irrespirable.
Au revoir l'été, c'est un Jean-Pierre Léaud au Japon. Ce sont des mots qui dansent sous la chaleur épaisse d'un été Japonais. Ce sont des images légères, naturelles, baignées d'une lumière ensoleillée, comme si l'on se trouvait exactement à cet instant précis dans un film de Rohmer.
Et puis l'intensité toujours, l'intensité des mots qui ne s'arrêtent jamais, amenant le spectateur dans un tourbillon de vie. Captivant les oreilles et les yeux, par les seuls mots sortis de chaque bouche des personnages. Et c'est ici exactement comme chez Rohmer. La captation de l'âme du spectateur qui ne peut plus réfléchir, qui est comme aspiré, asphyxié, hypnotisé, par un bouillon de vie, de mots, de paroles, de conssonances, d'existence.
Alors les personnages se cherchent, s'égarent, piétinent et se perdent. Ce n'est pas un téléfilm du dimanche soir, mais c'est un film de Rohmer qui pourrait s'apparaître à un roman de gare tant les personnages ne savent faire autrement que de vivre à leur façon. Soudaine naïveté qui pleure, qui flirte avec le monde, et tout s'échine à être. Innocence, candeur, être. C'est la vie en somme. Une vie sage, sans encombre, juste fait de murmures et d'attendrissement.
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le 2 févr. 2016
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