Ozu revival
Si, si, Ozu, aussi bizarre que cela paraisse… Un veuf, depuis plusieurs années, dont le fils est désormais élevé, encouragé par ce dernier, décide de se remarier. Non sans hésiter. A cette fin, il...
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le 27 déc. 2014
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En 1998 sortait Ringu, de Hideo Nakata, propulsant le genre ancestral du kaidan-eiga (ou film de fantômes japonais, la J-Horror) issu du kabuki sur le devant de la scène international pour la suite que l’on connaît : les remakes américains de Gore Verbinski, The Grudge, Dark Waters… Un genre jusqu’alors cantonné à l’archipel nippon et aux cinéphiles éclairés qui avaient déjà entendu parler de Onibaba ou de Kwaidan, mais qui se démocratise réellement sur le globe au tournant du millénaire. Et là-dedans arrive Takashi Miike, jeune réalisateur déjà extrêmement productif (28 films entre 1995 et 1999, puis une moyenne de 2-3 films par an jusqu’à aujourd’hui, avec une qualité très variable), et souvent radical dans ses propositions, allant du gangster énervé de Ichi the Killer au film de lycée ultraviolent avec Crows Zero et sa suite, en passant par un épisode Masters of Horror qui a bien failli être coupé par la censure. Miike s’attaque à une adaptation du roman Audition de Ryu Murakami, et se doit de participer à ce renouveau du genre en y incorporant les codes classiques: le monstre est une femme désarticulée, aux cheveux longs tombant sur le visage, à la peau pâle. Une Sadako en chair et en os.
Pour qui connaît un tant soit peu le cinéaste et le genre, la première moitié du film a de quoi désarçonner. On y suit l’histoire d’un chef d’entreprise, Aoyama, veuf et père d’un étudiant, qui souhaite retrouver une femme. Pour se faire, il passe par un ami producteur et lance un faux casting de film pour repérer la ménagère idéale. Débarque Asami, sous le charme de laquelle il tombe immédiatement, malgré les avertissements de son pote sur son étrangeté.
Si rien que ce pitch peut faire sourciller l’individu post #MeToo, rappelons nous que ce genre d’arnaque à l’amour était monnaie courante dans les comédies romantiques (Hitch, L’Arnacoeur, voire même Groundhog Day…), et Audition a la bonne idée d’exploiter ce stratagème dans son message. Car il faut savoir qu’au Japon à cette époque, il était commun pour les femmes de faire des études, trouver un emploi de secrétaire ou autre poste en bas de l’échelle, et ce avec pour unique objectif de dégoter un mari au boulot pour mieux revenir au foyer. Ce travers de société implique que notre protagoniste ne soit pas un mauvais bougre, juste un type qui suit la marche aussi boiteuse soit-elle. Aoyama génère de l’empathie, un japonais moyen plutôt sympathique qui ne fait que rajouter une pièce dans la machine en abusant de sa position de pouvoir sans qu’il ne trouve cela problématique. C’est la norme après tout.
Cette rom-com dure plus de la moitié du film, nappée dans une imagerie laiteuse, ouatée, et bien que certains éléments dérangeants, comme tant de signaux d’alerte de ce qui va suivre, soient distillés ça et là, on est en droit de se demander ce que l’on est en train de regarder. On comprend que Miike joue avec son spectateur, dilatant la tension à son maximum en préparation d’un pay-off qui claque, mais la formule est pour moi trop tirée. Raccourcir un chouïa cette première partie aurait sans doute joué en la faveur du film, qui se montre bien plus intéressant dans sa seconde.
Si on était jusqu’alors dans le sirupeux, le film prend un virage cauchemardesque et s’engouffre dans le fantastique et l’horreur. Finies les couleurs baveuses, bienvenue dans un univers saturé aux traits nets. On navigue dans les souvenirs d’Asami, victime des hommes toute sa vie, alors que l’on remonte la piste de ses multiples vengeances. La douce femme présentée en première partie se transforme en ange de la mort, rectifiant les travers d’une société phallocrate à grand coups d’amputations, en susurrant un inoubliable “Kiri, kiri, kiri” dans l’oreille de sa victime. Toute la construction d’Aoyama prend ici son sens, il n’est pas le monstre que Asami perçoit en chaque mâle, mais il n’est pas moins coupable d’être un homme contenté du système en place. On souffre avec lui, tout en comprenant les motivations de son bourreau, et alors qu’une séance d’acuponcture forcée parachève l'œuvre, on en oublie presque l’ennui ressenti en début de métrage tant la déferlante de cette seconde moitié est extrême.
Vous l’aurez compris, à l’instar d’Asami, Audition a deux visages. Et si le premier est nécessaire au bon fonctionnement du second, on regrette juste qu’il soit trop présent. Mais le film n’en reste pas moins une œuvre marquante, jouant avec les codes du genre pour mieux faire passer son message, et affirmant Miike, alors aux prémices de son style malgré ses 27 films précédents, comme un réalisateur détonnant.
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Créée
le 22 avr. 2024
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