Adulateur de bOObies en perdition
Bienvenue dans le Hollywood des années 60. Bienvenue dans un monde fait de couleurs expressives. Bienvenue dans cette cour où l’on se provoque en duel à coup de sourires bright et de faux semblants. Bienvenue à ces dîners respectables où la bonne nourriture et le champagne côtoient les plus belles créations des décorateurs d’intérieur à la mode. Mais bienvenue aussi dans un univers de débauche, où l’on baise entre potos dans des chambres crasseuses, où l’on filme des jeunes filles naïves à leur insu, où l’on perd peu à peu le sens des réalités pour se laisser bouffer par une spirale infernale dont l’horizon n’est fait que de surenchères.
En prenant pour point de départ la vie de l’acteur titre de la mythique série Papa Schultz, Paul Schrader nous invite à découvrir l’envers du décor acidulé d’Hollywood. Aux strass et paillettes qui ornent joliment les tables de ce monde à part, il oppose la descente aux enfers d’un homme que le succès a perdu. Pourtant bien certain d’être respectable, du genre « likeable guy », Bob Crane, magique Greg Kinnear, va se laisser peu à peu happer par une soif maladive de conquêtes, de rencontres sexuelles toujours plus exotiques qu’il justifie par sa passion pour la photo et les belles (ou moches) poitrines : « I love breasts, any kind. I love 'em! Boobs, bazooms, balloons, bags, bazongas. The bigger, the better. Nipples like udders, nipples like saucers, big pale rosy-brown nipples. Little bitty baby nipples. Real or fake, what's the difference? I like tits. Who's kidding who? Tits are great! ».
Paul Schrader n’y va pas par quatre chemins et prend son sujet à bras le corps. Laissant le malaise monter en silence, il sait surprendre son spectateur lorsqu’il fait basculer totalement son personnage vers une dépendance sexuelle dévorante, dont il accentuera le côté destructeur par son apparence toujours plus vieillissante.
Mais plus que le seul personnage de Bob Crane, le ciment du film est bel et bien le couple qu’il représente avec son fuck budy, un homme également en perdition, répondant au nom amusant de John Carpenter (et non, aucun rapport avec Big John). Greg Kinnear et Willem Dafoe parviennent à retranscrire avec un naturel saisissant cette relation atypique et dévastatrice qu’ils entretiennent. En l’espace de quelques furtives séquences (leur dernière discussion téléphonique notamment), Paul Schrader joue sur l’ambiguïté de leur relation jusqu’à lui insuffler une composante amoureuse faisant tomber sous le sens le point final macabre de son histoire.
Avec Auto Focus, Paul Schrader gère d’une main de maître la montée en puissance de son propos dévastateur. Si l’on peut penser, au départ, être devant une autobiographie glorifiante et amusante de Bob Crane, on comprend rapidement qu’il n’en est rien. Il invite à l’écran un malaise qui se fait de plus en plus palpable au fur et à mesure que Bob et John banalisent leurs aventures sexuelles, jusqu’à discuter le plus normalement du monde côte à côte, la main dans le caleçon pour une petite séance de plaisir intime en duo, aussi décontractés que s’ils se mettaient des buts à Fifa 65. De quoi en déstabiliser plus d’un !