L’épreuve du confinement de mars 2020 a jeté nombre de citadins à la fois privilégiés et prévoyants au fond de leur maison de campagne, dans laquelle ils coururent se réfugier, supputant que les semaines à venir seraient longues et que mieux valait ne pas les passer emmurés vivants. Dans le printemps naissant et confrontés à la raréfaction très comptabilisée des approvisionnements extérieurs, ils ont commencé à rêver d’une vie en autarcie, Robinsons timides à qui la campagne suffirait en tant qu’île...
Un an plus tôt, à Pâques 2019, François Bégaudeau, originaire de Vendée, mettait le cap à l’ouest, mais plus au nord, vers la Mayenne, région de bocages intérieurs, entre les contrées plus touristiques de la Bretagne et de la Normandie. Là, il braquait une caméra de documentariste vers ces neo-ruraux que plusieurs rêveraient de devenir, un an plus tard. Anciens citadins en rupture, ils sont devenus agriculteurs, éleveurs, ont ouvert un café solidaire... Tous disent le bonheur de cette sécession, d’une vie qui renoue avec l’essentiel, même si des phases de doute ou de danger ont parfois été traversées.
Face à cette authenticité verte, le ton est plus juste, plus posé que dans « Entre les murs » (2008), qui avait pu agacer, non du fait des populations dépeintes, mais du fait de l’invraisemblance des réponses qui leur étaient apportées. Comme si le côté brut de l’objet avait su contraindre à une approche sans fard. Sans doute surnage-t-il une part de rêve et d’illusion, mais comment s’en défaire ? Est-il même souhaitable, au bout du compte, de s’en défaire radicalement ?
La problématique qui apparaît avec assez de clarté et qui suscite l’intérêt est celle du lien. En passant d’un groupe à l’autre, F. Bégaudeau souligne rapidement une composante commune : le grand écart entre la prise de distance avec la société consumériste et la nécessité, toutefois, de nouer des liens d’autant plus forts, dans une sorte de partenariat d’entraide et de survie.
Ce lien peut aller jusqu’à prendre une tournure très physique, voire charnelle, lorsqu’il mobilise des savoirs à caractère occulte ou crypté. On voit ainsi en pleine action des sourciers, des magnétiseurs, des rebouteux pour animaux ou humains. Le lien sacré qui se noue dans la croyance partagée conduit naturellement à envisager la vie d’une communauté religieuse, la religion constituant le lien étymologique par excellence. Vers la fin du film, forant la nuit, la caméra se fait le témoin de rituels chamaniques engouffrant leurs pratiquants dans une tente de sudation faisant office de ventre originaire...
Mais Bégaudeau est un espiègle et il n’était pas dit que son documentaire s’en tiendrait à son allure officielle. Fil rouge courant parfois de l’une à l’autre de ces cellules humaines à la fois éparses et reliées à d’autres, surgit, d’emblée, Camille, survivaliste incarné par un comédien connaisseur en la matière et donc particulièrement convaincant, Alexandre Constant. Relativement disert sur son art et ses techniques, on suit cet électron libre, en homme des bois solitaire, récupérant aussi bien l’eau de pluie que la poule d’un fermier, et emportant le tout au fond de sa grotte aménagée.
Bégaudeau ne pouvait savoir, en 2019, ce qui nous attendait en 2020. Mais le hasard, ou bien le cours inexorable des choses, l’a servi et il est certain que les expériences traversées et les questionnements qu’elles ont soulevés auront préparé le public à recevoir ce film, qui propose de s’approcher d’une vie sobre, guidée par d’autres choix que la tyrannie du profit.