Autumn, Autumn se révèle comme un film extrêmement pudique. Il semble ne faire que caresser les trajectoires de ses personnages sans chercher à les pénétrer, les observant avec une distance respectueuse. Nous ne saisissons ainsi qu’une surface, témoins de quelques conversations dont nous n’avons pas les clefs, ignorant tout de l’existence des interlocuteurs en-dehors de ces quelques phrases qui nous parviennent sans contexte. Le scénario se déroule ainsi en creux, dans des non-dits insondables, dont certains s’éclairciront partiellement dans des scènes ultérieures, mais que le film ne se fera jamais un devoir d’élucider. Jang Woo-jin ne se soumet ainsi pas à l’appétit vorace d’un spectateur en quête de sens, mais laisse plutôt flotter une ambiance, un état d’esprit.
Cependant, contrairement à ce que pourrait laisser penser ce manque de profondeur apparent, Autumn, Autumn est riche de thématiques puissantes, à la redoutable force évocatrice. La mélancolie qui habite les scènes est gorgée du constat nostalgique du passage des années, de souvenirs sur lesquels ont revient avec tendresse et de prophéties non réalisées. Pourtant, le long-métrage ne se teinte jamais de fatalisme, même s’agissant d’évoquer les espérances déçues et les doutes vis-à-vis de l’avenir. Plutôt, c’est une forme d’humilité envers la vie et ses aléas : du bout du chemin où l’on est parvenu, on se retourne pour réaliser que nos pas ne nous ont pas menés où l’on pensait. Nul n’est besoin de vastes épanchements pour le traduire sur pellicule, quelques mots ou regards glissés de loin en loin se montrent amplement suffisants.
Cette délicatesse se retrouve d’ailleurs dans la mise en scène, qui fait preuve d’une formidable économie de moyens, pour un résultat extrêmement épuré. On est ainsi rapidement marqué par l’absence de musique qui, en nous épargnant une emphase artificielle, nous confronte à la vérité de ces instants bruts où les silences s’épanouissent et retrouvent toute leur force. Quant à la caméra, elle se fait également discrète, égrenant une série de plans-séquences essentiellement fixes, quelques plans s’autorisant au mieux un timide travelling horizontal pour accompagner les personnages au-delà du champ initial. Pour autant, elle est aussi judicieusement placée, donnant tour à tour le sentiment d’être un observateur curieux, de se mêler à l’intimité des personnages, ou de contempler un tableau composé avec art.
Cette absence de coupures a pour effet, d’abord déstabilisant, puis rapidement libérateur, de nous contraindre au rythme de la vie, bien moins effréné que ce à quoi la fiction nous habitue. Elle rend leur juste place aux gestes, aux respirations, aux distances à parcourir, donnant ses pleins pouvoirs à l’anecdotique. Cette poésie du temps réel semble atteindre son paroxysme lors d’une scène où l’on observe, au fil d’un repas, la luminosité changer, parfois brutalement, alors que l’on devine le jeu auquel se livrent le soleil et les nuages. On est bien loin de l’esthétique lisse et calibrée qui noie fréquemment les repères spatio-temporels au cinéma ; on lui préférera ici une simplicité touchante.
Naturellement, un tel minimalisme ne séduira pas tous les spectateurs, et certains resteront sur leur faim. C’est qu’en conjuguant réalisation dépouillée et propos en filigrane, Autumn, Autumn offre peu de stimulations et s’expose à égarer le public. Cependant, pour ceux qui sauront se laisser bercer au gré de ces tranches de vies, elles ne seront pas sans rappeler celles des films de Hong Sang-soo, qui se garde pareillement d’un excès d’ornements et d’explicitation. La différence, cependant, est l’absence d’ironie ou de thèmes moraux dans ce long-métrage aux vertus purement contemplatives.
En somme, Jang Woo-jin nous propose ici une balade tranquille au cours de laquelle il nous est donné d’entrevoir les trajectoires d’inconnus aux préoccupations universelles. Fable sur le temps et les rêves qui s’écoulent, mesurée tant dans le fond que dans forme, elle nous interroge indirectement sur l’artificialité de la fiction. Si le voyage n’est pas inoubliable, il offre une parenthèse paisible dans laquelle on prend plaisir à s’immerger.
[Rédigé pour EastAsia.fr]