Enorme succès en 1948 (4 559 689 entrées), réalisé par Jean Delannoy, grand représentant de la "qualité française" encensé par la critique à l'époque avant que les jeunes Turcs ne viennent le mettre au placard, écrit par Georges Neveux et Henri Jeanson, avec deux immenses vedettes en tête d'affiche (Jean Marais et Michèle Morgan), "Aux yeux du souvenirs" avait tout du film dépassé.


Je sais que Delannoy a fait preuve de talent plus d'une fois et que Jeanson était un immense scénariste, mais l'enthousiasme publique et critique à l'époque additionné à l'indifférence générale que suscite ce film aujourd'hui est quand même un bel indice. Un bel indice qu'il s'agisse d'un film exécutant avec facilité une recette, la recette bien définie du film de qualité aux yeux des institutions de l'époque, qui sera d'avance sélectionné dans tout les festivals nationaux et internationaux pour défendre les couleurs de la France, la recette dont l'incessante répétition a provoqué la réaction de la nouvelle vague. Pour couronner le tout, ce film a raflé la "Victoire du cinéma français", la "Victoire de l'interprétation féminine" pour Morgan et fut en compétition pour la "Mostra de Venise", pour ensuite tomber dans l'oubli.


Que de mauvais signes donc, et c'est vrai que c'est un film qui souffre de beaucoup de défauts, mais je me suis surpris à ne pas passer un trop mauvais moment. Le scénario, bien que prévisible, ne tombe pas excessivement dans les clichés du genre, et on retrouve un peu de la verve de Jeanson dans les dialogues. Dès le début on est surprit et amusé par la tournure que prennent les évènements. Il y a aussi des fulgurances de mise en scène, avec une utilisation assez originale de la caméra subjective, un sens de la transition, une présentation intéressante et bien rendue du milieu de l'aviation dans l'après guerre. Jean Delannoy avait du potentiel, mais il n'allait pas toujours au bout, c'était un semi ambitieux. La qualité de ses films était non seulement tributaire de la qualité des scénarii, mais en plus il ne choisissait pas toujours des sujets qui lui correspondaient, il était donc difficile de le cerner comme un auteur.


Le titre du film est une citation de Baudelaire dans les "Fleurs du mal".


Ah que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir, que le monde est petit !


Après Gide et Sartre, Baudelaire donc... voilà Delannoy.


"Aux yeux du souvenir" est donc avant tout un film d'Henri Jeanson et Georges Neveux, avec une mise en image ambitieuse de Delannoy malgré le rendu impersonnel de l'ensemble. Les personnages sont vite cernés par le spectateur, Jean Marais étant le jeune premier insupportable qu'on a déjà vu chez Cocteau où c'était brillant, mais ici il atteint un niveau de tête à claque terrible, ça a beau être voulu c'est assez frustrant de se dire que le personnage joué (très bien il est vrai) par Michèle Morgan, femme mure et indépendante, puisse succomber aux charmes de ce type.


Car le film reprend une trame ultra basique, deux jeunes insouciant avec des dialogues volontairement niais au début, l'une prends leur histoire au sérieux l'autre non, il l'abandonne et elle se renferme, tente de se suicider, puis se reconstruit avec beaucoup de maturité. Quand ils se retrouvent, lui est resté un enfant insouciant, qui a toujours ses caprices. Elle a beau être une personne très douce elle fait montre vis à vis de lui d'une vrai dureté (à raison). La mise en scène le fait comprendre dans la scène où la logeuse du personnage de Marais lui tire son drap, avec la caméra en plongé sur cet homme blottit sur son lit tel un gamin. Les échanges entre les deux anciens amants deviennent plus crus, plus vifs, il essaie de la reconquérir, on ne sait pas trop si c'est par amour ou par orgueil.


Et c'est là que le bas blesse, on additionne les scènes de confrontation entre eux, et le film peine à fonctionner car le duo ne prend pas vraiment. Michèle Morgan est excellente, toutes les émotions de son personnages passent et son transmises au spectateur par l'intermédiaire de son visage à la beauté troublante et de son regard si profond. Mais Jean Marais ne parvient pas à défendre son personnage, qui intrigue au début mais qui au fil du film devient inintéressant au possible tant sa progression psychologique n'est pas explorée. Certes on voit qu'il sait se montrer mature dans la scène de fin dans l'avion qu'il pilote et qui risque de se cracher (dont le suspense est assez bien rendu je reconnais), mais ça arrive comme un cheveu sur la soupe, ça ne rattrape pas tout le reste du film ou on l'a vu se comporter comme un gamin. Il aurai fallut être beaucoup plus dur avec ce personnage. Cela aurait peut-être fait tomber le film dans la noirceur pesante dont le ciné français de l'époque avait fait son porte drapeau, mais je crois Jeanson et Neveux suffisamment talentueux pour pouvoir trouver une juste mesure.


Là ils se sont juste contentés d'appliquer la fameuse recette, on enchaîne les scène de dialogues entre les deux vedettes, ça ne débouche jamais à rien malgré l'attirance qui saute aux yeux, et c'est ça qui est agaçant, on sait pertinemment comment ça va se terminer, qu'ils vont finir par se tomber dans les bras, et la façon dont ça arrive est tellement convenue que cela donne un final particulièrement frustrant. On ne le ressent pas, la petitesse du monde aux yeux du souvenir ! Le film avait un vrai potentiel satirique et il part dans le mélo convenu, c'est frustrant.


Je retiens, comme je l'ai dis, la scène finale de l'avion, elle rend hommage au commandant Lechevalier et son équipage de Air France qui ont sauvé leurs passagers du crash le19 février 1947, ce qui est bien clarifié par un carton titre au début du film. Mais là aussi cet hommage apparait comme une surcharge dans une histoire qui n'avait pas besoin de ça.


Chose amusante, on assiste dans le film à un cours René Simon (là où les metteurs en scène viennent faire leur marché de jeunes comédiens). On a donc droit à une prestation du maître dans son propre rôle, et parmis ses élèves on aperçoit Nicole Courcel, Philippe Nicaud et Robert Hossein. Il y a aussi parmi les personnages importants Jeannette Batti, qui fait très bien le boulot, et surtout Jean Chévrier qui a droit à un rôle similaire à celui qu'il tenait dans "Falbalas" de Jacques Becker. Il semble tout droit sorti de ce film. On saluera au passage la prestation de cet acteur qui excelle en amoureux éconduit particulièrement pathétique. Je n'ai pas vu d'autres films avec lui mais ça ne m'étonnerai pas qu'il ai été cantonné à cette game de jeu là. .

grisbi54
5
Écrit par

Créée

le 2 janv. 2021

Critique lue 298 fois

grisbi54

Écrit par

Critique lue 298 fois

Du même critique

Un monde
grisbi54
5

Un peu brouillon

Avec Un monde, Laura Wandel n'a pas l'air de vraiment savoir sur quel pied danser. Je peux comprendre que beaucoup de gens aient apprécié, parce que la réalisatrice joue à fond la carte de ...

le 2 févr. 2022

16 j'aime

Youssef Salem a du succès
grisbi54
6

Fais pas ci fais pas ça

Le tandem Michel Leclerc - Baya Kasmi (ici derrière la caméra) continue à exploiter son filon comique consistant à traiter avec légèreté le climat politique contemporain. Si le film est drôle à...

le 23 janv. 2023

7 j'aime

L'Envol
grisbi54
8

La pudeur est une grâce enfantine

Avec cette troisième fiction, le cinéaste italien Pietro Marcello franchi une nouvelle étape dans sa trajectoire artistique. Bella e perduta constituait déjà, avec une approche documentaire et une...

le 21 janv. 2023

5 j'aime