Père des deux premiers Terminator, Aliens Le Retour, Abyss, le recordman au box-office avec Titanic, James Cameron revient depuis 1997 pour un long-métrage des plus intéressants. Blockbuster de premier choix et surtout d’ordre familial, l’intrigue peine quelques fois à démarrer. La nécessité d’aligner des tirades explicatives sur le pourquoi du comment est une recette bien simpliste alors que la subtilité s’empare pratiquement de la moitié de l’œuvre. Mais avant tout, il faut savoir modérer ses propos, car ce phénomène divise énormément. De plus, chacun aura certainement des raisons de défendre son point de vue, mais il est essentiel de ne pas esquiver l’âme du projet.
Pandora est une planète avec des habitants uniques, un système, une culture et un environnement que l’on apprend peu à peu à découvrir. Tout cela explique la présence d’humains, suréquipés et surarmés. Il est évident qu’un conflit d’intérêt est à l’œuvre et c’est à ce moment que l’on se questionne sur la position et les droits du « colonisateur ». La race humaine fait preuve de lucidité lorsque la science est mise en avant. Pour le côté musclé, c’est le retour des clichés tels qu’on les connaît déjà sur le bout des doigts. L’analogie avec les guerres, où les génocides retentissent à l’unisson, est une auto-critique de la société impérialiste et capitaliste qu’est l’Occident en général. On ne peut y réchapper afin de meubler le décor, déjà trop numérisé. Et bien que la motion capture est à l’usage, son exploitation présente de nets avantages, mais également des controverses. Cameron a préféré immerger ses spectateurs par frénésie dans Pandora. Or une fois dedans, l’animation séduit, certes, car la photographie et la profondeur des plans proposent bien des surprises. La quête de l’imaginaire est importante et tient ses promesses. Pourtant, on a beau s’arrêter à ces détails qui ont déjà saisi le cœur du grand public, l’escapade en ces terres inconnues sous-entend tellement plus.
La hiérarchie, aussi bien chez les humains que chez les Na’vis, est une culture inconsciemment acquise. L’arrivé de Jake Sully (Sam Worthington) chez les autochtones suscite des engouements spirituels et religieux. La distinction est forte, présentant ce héros au parcours initiatique et suggérant qu’il incarne le leader civilisé qui vient libérer le peuple Na’vi de sa dépendance à mère nature et de ses coutumes. Ce peuple fait alors écho à un groupe d’animaux et la position du Jake, comme dompteur par la suite, le placera systématiquement devant sa guide Neytiri (Zoe Saldana) et le peuple vénérant sa stature d’élu. D’où la posture bipède qui prédomine au fur et à mesure que le récit avance. À la base, chacun cherche sa place véritable dans la tribu, une forme de rédemption qui s’entremêle avec le devoir de sa race d’origine. Il n’est donc pas surprenant que l’on emprunte énormément d’arguments dans la culture populaire, notamment dans la filmographie du cinéaste, mais juste ce qu’il faut afin de façonner le matériel visuel. Toute la beauté réside ainsidans le fond, qui regorge encore de potentiel.
Le militarisme est visé dans les deux camps, oui. L’homme, de son côté, utilise sa technologie, machine qui lui sert de prolongement physique et mental dans l’aboutissement de ses objectifs. Les Na’vis « s’approprient » des animaux comme monture et peuvent partager les mêmes motivations que l’homme si nécessaire. Le rapport homme-animal prend alors un sens ambigu lorsque l’acquisition et l’usage de la bête en question est à sens unique. En quoi ce peuple, implicitement estimé supérieur à l’humanité, semble donc prédisposé à nous séduire à la vue de cette similitude ? Au climax final, tout penche en faveur de l’oppressé et n’illustre rien de réellement d’emballant si ce n’est que le divertissement, accompagné de sa justice limpide à la morale de l’intrigue. Les conquistadors spaciaux n'ont donc pas la légitimité, sans comprendre l'essence de la nature qu'ils combattent.
Quant au reste du casting, riche en protagonistes à la fois emblématiques et unidirectionnels, on ne se plaint pas de leur prestation. Plus que suffisant, ils arborent la relation humain-Na’vi comme un bénéfice. Or, les enjeux diffèrent rapidement, à tel point que l’on oublie la situation de la Terre et l’objectif premier de cette expédition coloniale. Grace Augustine (Sigourney Weaver) et le colonel Miles Quaritch (Stephen Lang) opposent leur argument selon leur domaine d’expertise. Ni l’un ni l’autre ne parvient à trancher quant à l’avenir de la planète. Le choc de devoir et la modestie de chacun sont malheureusement stéréotypés, laissant place à une lecture monotone de ces figures. Il y a donc de quoi se rendre compte de l’importance de la forme, mais le fond constitue l’essentiel à retenir.
En vertu de quoi, « Avatar » marque le pas dans une génération fleurissante. Le public lui accorde le mérite d’innover, bien qu’en prenant suffisamment de recul, le résultat est tout simplement recyclé pour un thème plus en rapport avec la comparaison entre deux mondes, pas toujours aussi différents. Ce succès mondial laisse Cameron dans une position d’honneur lorsqu’on a su capter toute l’essence de ce projet pourtant original, tant bien dans la forme que dans le fond, riche et discutable. La surprise est totale, à bonne distance de l'émerveillement et la terreur de quitter une réalité que l'on croyait nôtre.