N'en déplaise à Régis Debray et aux multiples sectateurs de Rafik Djoumi, je ne vois pas très bien comment on peut qualifier "Avatar" d'œuvre profonde et foisonnante, comment on peut développer autour d'elle des discours cosmogoniques englobant la mythologie des indiens Hohokams et le Mahâbhârata, l'Odyssée et la chanson des Nibelungen. N'est-ce pas un peu simplificateur ? On parle de monomythe, soit. N'en oublie-t-on pas que, dans la plupart des cas, quand on veut raconter une histoire, on s'arrange pour qu'il arrive en effet des trucs à quelqu'un et que sa vie en soit un peu changée ?

Prenons un exemple théorique : je veux faire un film sur la vie d'un homme qui symboliserait l'Homme, aussi je décide de m'inspirer de la vie de Moctezuma, empereur aztèque, et celle de mon grand-oncle Roger, gardien de chèvres dans le Larzac, qui étaient tous les deux des hommes. Bon, les points communs entre les deux : ils sont tous les deux nés, ils ont tous les deux vécu en mangeant tous les jours et en respirant, et ils sont tous les deux morts. Cool. Paye ton monomythe profond et foisonnant de sens métaphysiques sur la destinée de l'Homme et ses servitudes aux contingences matérielles !
Après, il va de soi que ce qui aurait pu découler de chacune de mes deux sources d'inspiration si je les avais traitées séparément est totalement différent. J'ai beaucoup plus pleuré à la mort de mon grand-oncle qu'à celle de Moctezuma, par exemple. Et la vie de Moctezuma témoigne plus de la chute d'une civilisation que celle de mon grand-oncle. Donc, pourquoi ne pas avoir pris seulement l'un des deux exemples et avoir envisagé tout ce qu'il pouvait apporter en termes de réflexions philosophiques, plutôt que de mélanger tout ça dans un même brouet qui devient fade à force de lui rajouter des ingrédients disparates ?

Pour moi, "Avatar", c'est ça, une soupe d'un peu tout : quête initiatique, fin d'une époque, rébellion, transfert, affrontement de deux cultures, manichéisme, bla bla bla, qui veut sans doute montrer que James Macaroon a beaucoup lu et kiffe grave les mythologies, mais qui prouve surtout qu'il a eu beaucoup de difficulté à faire un choix clair et précis de ce qu'il voulait dire, si vraiment dire il voulait. Parce que rien ne nous prouve que l'ambition de monsieur C. n'était pas simplement de produire un bon gros divertissement des familles, à coup de décors fluos nés de son imagination, une sorte de délire issu de la frustration de ne jamais avoir été le winner de la cour de récré, celui dont la seule existence fait qu'on lui donne et pardonne tout (comme son personnage principal, Jake Sully).

Ceci dit, j'admets que ce film restera sans doute une référence dans l'histoire du cinéma, comme la première utilisation vraiment perfectionnée du motion capture, ce qui d'un point de vue technique est très intéressant car redéfinissant le rapport du réalisateur à ses acteurs et à ses décors. Mais rassurons-nous, cette technique extraordinairement onéreuse n'est pas du tout indispensable pour faire du cinéma, et une bande de potes avec une mini caméra à trente euros et zéro euro de budget pourra toujours nous sortir un chef d'œuvre.

En conclusion, je suis d'avis que "Avatar" est un bon film, dans le sens où il a rempli ses objectifs : divertir pendant trois heures de leur vie une masse impressionnante de gens, en les faisant s'émerveiller, s'évader, ou tout simplement aller au cinéma. Est-il alors une œuvre d'art ? Je ne pense pas, parce qu'il n'élève pas la conscience. Sensibilisation écologique ? Pas plus que dans n'importe quel clip du gouvernement qui nous dit qu'il faut trier ses déchets pour sauver la planète. Message de paix et d'amour ? Les Disney nous le servent depuis des décennies. Quête initiatique ? Relisons Harry Potter, c'est du même niveau.

C'est là que le bât blesse : "Avatar" est un divertissement, et peine à proposer autre chose, même s'il contient tous les mythes de l'univers. Fait intéressant : j'ai vu ce film, en 3D, au Max Linder de Paris, c'est-à-dire à deux pas du passage des Panoramas. Savez-vous ce qu'étaient les panoramas ? De vastes salles circulaires, au milieu desquelles une plateforme surélevée permettait de voir, sur toute la surface du mur courbe, une grande peinture en trompe l'œil représentant souvent d'immenses paysages habités. Venant du haut et rasant la surface colorée, la lumière donnait l'illusion de la profondeur et du mouvement. C'était un divertissement très prisé au XIXe siècle, tout autant que le fut "Avatar" au début du XXIe. Les panoramas sont-ils entrés dans l'histoire de l'art ? Pas vraiment. Et "Avatar" ? Je doute que dans deux siècles on en parle autrement que comme d'un jalon de l'histoire du divertissement.
Anonymus
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le 11 déc. 2010

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Anonymus

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