Avatar 2 est finalement sorti après plus de 10 ans de gestation pour succéder à une version 1 qui avait soulevé la ferveur générale : rarement un film n'avait imposé une telle empreinte en termes d’originalité, de qualités esthétiques et de facture technique.

Le 2ème volet débarque privé de deux des points forts de son aîné : la nouveauté (de l’univers, de la technique d’image) et la mise en place de l’univers narratif (découverte des personnages, des tensions principales, de l’opposition homme / Pandora).

Cet état de fait (qu’on pourrait résumer au simple ajout du suffixe 2) prépare le lit, avant même l’entrée en salle, à tout un arsenal de critiques prêtes à l’emploi. Les missiles sont armés au cas où à la sortie de la séance, un peu sonné par la qualité stupéfiante de l’image et la beauté unique de nombreuses scènes, on marque un léger délai avant de faire pleuvoir sur le film une pluie de jugements à l’emporte pièce (comprenant pour la bonne cause le prix du billet ainsi que la cuisson des pop corns), ce qui pourrait être mésinterprété par notre interlocuteur comme une approbation indirecte à une production américaine capitaliste ainsi que l’expression d’une sensibilité hors de propos en 2023; sans compter (et c’est surement le pire) un “manque de tenue” en société, tenue qui exige, en tant que français, d’être capable de prononcer un nombre respectable de critiques à la seconde en prenant un air dégagé et subtil.

Passons donc sur ces événements fâcheux qui ne pourront manquer d’arriver et concentrons nous sur la manière qu’ont eu James Cameron et son équipe de renouveler l’expérience d’Avatar sans deux de ses plus forts arguments afin de produire une expérience esthétique, visuelle et émotionnelle qui emporte tout sur son passage.

Renouvelez la nouveauté

Avatar étant sorti il y a 13 ans, et sachant que la mémoire de l’individu moderne ne dépasse pas 3 semaines (la mienne étant probablement inférieure), se soucier d’une éventuelle répétition du premier volet que ce soit dans le choix des scènes, de la photographie, des couleurs ou des personnages secondaires semble déraisonnable voire grotesque.

C’est sans compter sur le fait qu’Avatar avait marqué durablement les esprits tout en étant le plus gros succès au box office de l’histoire. Sans compter aussi sur l’exigence démentielle de James Cameron.

On retrouve donc Pandora, mais presque aucune image n’est répétée, l'univers évolue radicalement, et on aperçoit à peine la base humaine. Rien que ce point explicite la décennie de travail nécessaire à la recréation de Rome, pardon d’Avatar. La quantité de travail et d’abnégation nécessaire pour mettre au point une œuvre d’art est souvent ignorée, voire raillée. J’y suis sensible et le renouveau total des images m’émeut comme le ferait une déclaration d’amour car elle prouve la passion dévorante qui doit habiter le réalisateur et son équipe. Plus qu’une déclaration d’amour, c’est un message d’espoir. C’est peut être le but public le plus noble de l’art.

Supprimez la narration

Le seconde problématique qui a dû se présenter à l’esprit du réalisateur au moment d’entamer l’écriture d’Avatar 2 est (évidemment) l’évolution de sa narration. On savait que l’action allait toujours se dérouler sur Pandora et on soupçonnait que l’opposition Jake Sully vs méchants humains allait se poursuivre. Mais comment créer un film aussi long sans se répéter quand tous les fils narratifs les plus évidents ont déjà été exploités jusqu'à la corde ?

A cette équation, Cameron répond d’une manière virtuose et en deux temps.

D’une manière artisanale tout d’abord en introduisant un certain nombre d'éléments et en déplaçant le focus savamment pour apporter une dose de fraîcheur.

Se limiter à des techniques de producteur, aussi efficaces et maîtrisées soient elles auraient pu produire un très beau blockbuster. Cameron a sans doute décidé qu’il en avait fait assez et a choisi d’aller un peu plus loin et de nous faire basculer dans la magie. Il a donc tout simplement décidé de faire disparaître la narration et d’entrer dans l’ère du roman moderne.

Le roman moderne

Devant la myriade d’images à couper le souffle, de scènes composées avec classe, de transitions élégantes et sensibles, d'enchevêtrement de plans narratifs et micro narratifs évoluant à des allures différentes et modulant la lumière toujours présente de l’arc principal pour nous présenter un ballet esthétique et émotionnel d’une grande profondeur, le spectateur, un peu hagard et confus, cherche désespérement une planche de bois (pour 2 personnes) à laquelle se raccrocher. Trois heures en haute altitude c’est long surtout quand on a pas pris ses bouteilles d’oxygène (pop corns).

Le gag réflexe le plus immédiat est de chercher à se raccrocher au fil narratif principal que Cameron a laissé là un peu par hasard et pour éviter de générer trop de vertiges chez les personnes sensibles.

Un peu comme un pote qui vous proposerait de prendre un xanax dans un trip à l'acide un peu strong, céder aux sirènes de l’intrigue américaine au lieu de continuer la plongée en profondeur avec les na'vis est le plus sûr moyen de sortir définitivement du monde enchanté d’Avatar. Une fois le réflexe activé on peut aussi bien quitter la salle et cette fois-ci honnêtement se plaindre du prix excessif de la place.

Ce choix de Cameron m’a paru clair au moment du film mais il reste bien entendu dans le droit fondamental de chaque spectateur de se préoccuper de la narration principale, de son réalisme, de son côté américain, des choix thématiques réalisés (famille, guerre bien sûr, mais aussi écologie ?).

De la même manière, il est tout aussi légal de se préoccuper du livret de la Flûte enchantée ou de la narration principale d’A la recherche du temps perdu.



Il est amusant de voir comment un ensemble de décisions mineures peuvent, mises ensemble, produire une évolution aussi sensible dans la perception générale de l'œuvre. Tout ce qui fait un film hollywoodien est toujours présent d’un point de vue narratif, la structure bien qu’originale et allongée peut toujours rentrer dans les canons du style et propose bien sur l’opposition gentil / méchant, la montée en tension au cours du film, l’affrontement final ainsi qu’une sorte de happy ending.

Pourtant tout semble vécu à une certaine distance comme si ces éléments n'étaient plus utilisés que comme un cadre à quelque chose d’autre, quelque chose de plus apaisé, de plus émouvant, de plus artistique. La narration permet toujours d’articuler les scènes et de donner au cerveau et à l’intellect du grain à moudre afin d’absorber ces millions d’images haute définition, mais elle ne le fait que comme on consommerait une barre de céréale pendant un trek de 3 jours et simplement afin de pouvoir aller un peu plus loin et apprécier encore une fois ce paysage de montage (ou de plage). Comme un tableau de Monet, la représentation se dérobe pour devenir un jeu lyrique d'impressions colorées.

Malgré tout, ce qui reste de ce cadre est de belle facture et, s’il peut décevoir les spectateurs s’attendant à une intrigue balzacienne, il joue parfaitement son rôle pour soutenir l’activité incessante qui a lieu pendant ce long voyage.

Cameron l’artiste

Je finirai cet article par m’autoriser quelques épanchements et pour conserver certaines des impressions les moins intellectuelles et les plus fragiles que j’ai ressenties hier.

Ce qui m’a, au fond, réellement touché est simplement la patte artistique de Cameron et de son équipe.

Cette patte je l’ai ressentie à chaque minute, dans le choix des plans, leur durée, le mouvement de la caméra, l’harmonie des couleurs, des sourires, l’utilisation mesurée d’effets visuels à certains moments, le rythme des images ..

Cameron joue avec les standards du style et du cinéma non seulement avec virtuosité mais avec sensibilité. Les enchaînements de scènes semblent toujours naturels, fluides et spontanés, le réalisateur joue avec nos attentes mais avec douceur et élégance. Rien n’est violent à l’image sans pourtant que la cadence esthétique baisse d’un cran à aucun moment, tout cela sans répétition qui ne soit voulue, équilibrée.

La maîtrise artistique s’étend aussi bien image par image que sur la durée de l’arc principal en complexifiant et en ramifiant à la fois l’aspect visuel, narratif et émotionnel jusqu'à l'affrontement. Les lignes autrefois arrondies se brisent, les couleurs s’opposent, le rythme s'accélère mais toujours dans un assemblage d’images et de symboles composites, à l’image d’un vitrail construit patiemment et presque avec amour pendant trois heures.

La scène finale embrasse toutes les attentes du spectateur sans jamais verser dans l’excès ou la facilité. Au sommet du pathos, Cameron garde les rennes et ne nous distille que quelques frissons mesurés afin d’économiser notre oxygène et pour continuer notre voyage en profondeur sans jamais remonter.

La maîtrise artistique

Une œuvre d’art est un ensemble de milliers et de milliers de décisions : ce sont ces décisions qui après des années de travail acharné s’écoulent spontanément d’être humains et nous touchent d’autant plus que la maîtrise artisanale et technique ne vient plus s’interposer entre leur sensibilité et la nôtre. On appelle aussi cette spontanéité la maîtrise artistique.

On la ressent avant de la connaître mais si on voulait la connaître une de ses marques les plus évidentes serait la cohérence.

Un grand artiste est généralement capable de produire des œuvres d’un certain niveau d’exécution et d’émotion avec une grande constance et ses œuvres auront une très grande cohérence. Dans chaque oeuvre, les différents éléments principaux utilisés bénéficieront tous à la fois d’une exigence artistique et technique et s’interfaceront élégamment et harmonieusement entre eux.

Une autre manière de juger de la qualité artistique d’une œuvre (et qui découle de la précédente) est une manière “négative”. Les grands artistes produisent des œuvres sans défauts. Ou plus exactement leur niveau de perception de leurs œuvres est tellement au-dessus de la moyenne que celles-ci paraissent parfaites aux autres personnes. Rien n’est laissé au hasard parce que la volonté artistique s’étend dans toutes les directions possibles et que la maîtrise technique ne laisse rien derrière elle. Les seules critiques qu’on puissent faire réellement à ces productions sont des critiques “de contexte”, comme pour Avatar. Critiquer une œuvre revient à critiquer un genre, ce qui revient à avouer une forme de masochisme.

Une dernière manière de juger d’une œuvre, qui marque peut être une préférence personnelle dans le sens où elle s’applique à tous mes artistes préférés mais implique de valoriser le travail, la vie et le foisonnement au-delà de la qualité conceptuelle. Il s’agit de la capacité d’une œuvre à émerveiller, émouvoir et stupéfier a n’importe quel moment (n’importe quelle page, n’importe quelle scène, n’importe quel détail), sans préoccupation de son sens général.

Ce foisonnement vital m’émeut en art car je le vois comme quelque chose de joyeux, de spirituel et de généreux.

ThibaultLebrun1
10
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Créée

le 8 janv. 2023

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Thibault Lebrun

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